Tunisie: Youssef Chahed dévoile ses ambitions
La désignation de Youssef Chahed chef du gouvernement tunisien a été entourée de tergiversations, réticences et même hostilités.
Mais il a été imposé pour concrétiser l'initiative du chef de l'Etat -appelée Déclaration de Carthage- qui consistait à impliquer le maximum de partis et de composantes dans la recherche des voies à même de faire sortir le pays de la crise politique, économique et social dans laquelle il se débattait. Les Centrales, ouvrière et patronales, ainsi que neuf partis rallieront cette Déclaration. Du gouvernement d'alliances poliques de Habib Essid on est passé à celui d'unité nationale.
Parti dans une démarche de concertations et de consensus, en élève sage et appliqué, Chahed recevait les marques d'un soutien constant des partis dominants, Nidaa et Ennahdha, malgré des résultats peu probants, notamment en relance économique et ré résorption du chômage. Maison aussitôt qu'il a commencé à prendre ses marques et à monter au créneau, surtout en s'engageant dans une soudaine et fort médiatisée campagne contre la corruption et la contrebande, les critiques et les remises en questions ont commencé en allusions et en interrogations quant à l'efficience du gouvernement et à sa capacité de mener la barque jusqu'à la rice du salut.
Parallèlement, des voix de mêmes camps contredisaient ces propos et réitéraient que le gouvernement jouissait de la même confiance. Soit le bâton et la carotte.
Face à l'oreille sourde de Chahed qui ne cherchait pas la confrontation mais qui ne répondait pas non plus à ces appels du pied, le ton est monté et les attaques sont devenues plus directes, témoignant du froid qui s'installait et du fossé qui se creusait entre le chef du gouvernement et ceux-là même qui l'ont désigné.
DESAVEU
Au point qu'un baron de Nidaa, Fadhel Ben Omrane, n'hésite plus à déclarer que les voies de la communication avec Chahed sont obstruées et que sa campagne contre la corruption est futile, mal appréhendée et qu'elle peut avoir porté préjudice à des innocents.
Un désaveu qui prouve au besoin que le torchon ne brûle plus, mais qu'il est bel et bien consumé. La révocation de Chahed est normalement imminente, dirait-on! Ce n'est pas le cas, pour plusieurs raisons. D'abord Nidaa connaît une agitation interne et semble à la veille de grandes décisions, peut être même de changements de taille dans les postes de responsabilité et dans les alliances, ce qui explique d'ailleurs, le report de la réunion que devaient tenir samedi et dimanche derniers les différents coordinateurs, députés et dirigeants centraux. Dans ces conditions, impossible d'envisager une telle perspective dont les implications sont énormes et que le Président de la République, en homme politique expérimenté, sait évaluer.
Ensuite, Chahed qui sait qu'il ne peut plus compter sur ses protecteurs d'hier, mais qu'il a le soutien de la puissante Centrale patronale, d'une bonne partie de l'opinion publique et d'une frange de la classe a changé, ces derniers jours, son fusil d'épaule en optant pour la tactique qui stipule que la meilleure défense est l'attaque. Et il a su attaquer...
SE MAINTENIR ET PREPARER L'AVENIR
En prenant le large public des facebookers à témoins, il a dressé un vrai réquisitoire contre les partis politiques qui courent derrière les fauteuils ministériels et autres avantages, défendu les acquis de son gouvernement, sous-entendu la poursuite de la lutte contre la corruption, admis la difficulté de l'année à venir et promis que 2019 (année des prochaines législatives et présidentielle) se présentera sous de meilleurs auspices.
Ce faisant, il a rendu sa révocation quasi impossible, du moins pour l'instant, car elle serait perçue comme une mise à l'écart d'un chef de gouvernement parce qu'il a voulu résister aux pressions et aux diktats. En plus il a élargi, un tant soit peu, la base de ses sympathisants à qui il a laissé entrevoir une lueur d'espoir dans un futur relativement proche.
C'est ce qu'on appelle se replacer dans le présent tout en se projetant dans l'avenir. Un discours électoral certes, mais également une arme pour un maintien qui même s'il venait à ne pas avoir lieu, boosterait sa popularité et ne le jetterait pas aux oubliettes, comme ce fut le cas de ses prédécesseurs. Pas du tout un mouton de panurge, Youssef Chahed.
Mais son coup génial c'est la réunion qu'il a tenue, au lendemain de sa sortie sur Facebook, avec Noureddine Taboubi, secrétaire général du Syndicat des travailleurs (UGTT) et qui, a-t-on déclaré, s'est soldée par un accord dont on a tu les termes. Évidemment, cela ne peut être à son désavantage. Mais s'il a obtenu mieux, telle une promesse de soutien ou un délai de grâce sociale, ce qui revient au même, il serait alors indétrônable, parce qu'il se hisserait au rang de valeur politique sûre.