Tunisie: Le pari risqué de l’Open sky
L’échéance est enfin fixée. La signature, en début de semaine dernière, du procès-verbal de fin de négociations entre les experts tunisiens et de la Commission européenne ayant débouché sur un projet d’accord Open sky entre la Tunisie et l’Union européenne, en présence du ministre tunisien du Transport, Radhouane Ayara, de la Commissaire européenne chargé du Transport, Violeta Bulc, laisse supposer que son adoption et sa ratification et donc son application devrait intervenir au plus tard l’année prochaine.
Il aura fallu près d’une quinzaine d’années pour que la Tunisie décide d’ouvrir son espace aérien à toutes les compagnies européennes de transport aérien. Plus d’une décennie après le Maroc alors qu’ils avaient entamé en même temps l’examen de ce dossier, la Tunisie a franchi le Rubicon de la libéralisation du marché du transport aérien sans que cela n’ait dissipé totalement ses craintes quant à l’avenir du pavillon national de transport aérien du pays en adoptant cette fameuse 5e liberté du secteur qui donne droit « d’embarquer/débarquer dans un État tiers des passagers, du courrier et des marchandises à destination/en provenance de tout autre État».
Ce qui signifie que Tunisair embarque à Athènes, sur son vol Tunis-Varsovie, des passagers à destination de Varsovie, et vice et versa.
Par ce choix, le pays a fait le choix de la relance de son secteur touristique, aujourd’hui à bout de souffle, sachant les énormes turbulences que traversera Tunisair et accessoirement sa filiale Tunisair Express, mais également Nouvelair, la compagnie aérienne privé tunisienne.
Car, il ne fait aucun doute que le tourisme profitera de cet accord. Les professionnels du tourisme tunisien réclamaient depuis longtemps déjà l’ouverture du ciel dans l’espoir de relancer une destination touristique en perte de vitesse, particulièrement depuis 2011. Encore que, là aussi, les opérateurs du tourisme devraient se garder de trop se réjouir.
A commencer par les Tours opérateurs qui programment la Tunisie dans leur agenda. « Les tour-opérateurs fuient tout simplement les destinations où sévissent des guerres perdues d’avance contre les low cost qui pratiquent des prix en B2C (directement vers le consommateur) encore moins chers que ceux auxquels les tour-opérateurs achètent leurs locations charter au prix de gros », expliquait d’ailleurs, Hakim Tounsi, fondateur de Authentique International, un Tour-opérateur (TO) basé à Paris et spécialiste de la Tunisie, au confrère African Manager, quelques jours avant la signature de l’accord Open Sky.
Le tourisme vs Tunisair
Ce n’est pourtant pas l’avis de Jean-Pierre Mas, le président du syndicat français des entreprises du voyage qui estime que les clients qui achètent leur billet en direct devront toujours passer par des professionnels pour réserver leur hébergement.
Ce sur quoi rétorque un autre patron tunisien du TO, Ô Voyage, Raouf Benslimane, à travers le site d’information touristique TourMag, indiquant que « l’ouverture du ciel sur Marrakech a tué les Tour-opérateurs » parce que, effectivement, les clients se sont débrouillés seuls.
Le Maroc, justement, le pays qui a conclu un accord Open sky avec l’Union européenne en 2006 affiche une significative expérience en la matière. Ce vécu marocain de l’Open sky a dû logiquement apporter l’éclairage nécessaire aux autorités tunisiennes dans leurs négociations avec l’Union européenne.
En 2000, le Maroc a recensé 9,2 millions de passagers transportés. Ce volume passera à 15,4 millions en 2010 et 17,7 millions en 2015. Le nombre de compagnie aérienne désservant le royaume chérifien a pratiquement. L’effet Open Sky a joué à plein.
Les retombées en termes d’entrées et de nuitées touristiques ont été spectaculaires dans la mesure où le nombre d’entrées des non-résidents a plus que doublé passant de 2,3 millions en 2000 à 4,9 millions en 2010 pour atteindre 5,1 millions en 2015.
Au niveau des nuitées, le Maroc a enregistré un bond significatif de 11.3 millions de nuitées en 2000 à 14 millions en 2010 pour retomber à 12,5 millions en 2015. Qu’en a-t-il été pour la Tunisie au cours de cette période. En termes de transport aérien, le pays enregistrait quasiment le même nombre de passagers transportés soit 9,7 millions de personnes en 2000.
Mais il ne recensera que 11,3 millions de passagers transportés en 2010. Effet du printemps arabe, la Tunisie n’affichera en 2015 que 7,4 millions de passagers transportés. Du côté des entrées des non-résidents, les statistiques tunisiennes montrent que le pays a accueilli 5,1 millions visiteurs étranges en 2010 et 6,9 millions en 2010. Un volume qui chutera à 4,2 millions en 2015.
L’évolution tunisienne fut manifestement lente par rapport au Maroc. Cependant, au niveau des nuitées touristiques, la Tunisie a affiché le même volume de nuitées en 2000 et 2010 d’environ 30 millions de nuitées. Il retombera à partir de 2011 pour n’atteindre que 11,1 millions de nuitées pour les non-résidents.
Sur la base de ces données, la Tunisie devait-elle s’engager dans un accord d’Open sky ? Rien ne l’y obligeait sauf, peut être les synergies qu’un tel accord pouvait faire naître en terme de développement de l’infrastructure de transport et de communication d’une part, de diversification de l’offre d’hébergement et de loisir touristique, d’autre part.
C’est d’ailleurs ce sur quoi parient les autorités tunisiennes pour compenser les effets prévisibles de cette libéralisation sur le transport aérien tunisien et particulièrement sur Tunisair. A cet égard, l’expérience de Royal air maroc (RAM) est illustrative.
La compagnie aérienne marocaine a vu fondre sa part de marché avec l’Open sky comme boule de neige au soleil en raison de la concurrence féroce des compagnies étrangères et particulièrement des compagnies étrangères low cost. Entre 2005 et 2015, sa part de marché a chuté de moitié. En 2011, la RAM a dû mettre en œuvre un plan de restructuration réduisant de plus de 25% le nombre de ses salariés et une réorientation stratégique de son activité en se focalisant sur l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie.
Faut-il prévoir un processus semblable pour Tunisair ? C’est ce qui semble se profiler.