France-Loi sur l'immigration : Tensions toujours vives malgré la marche arrière du gouvernement
La durée légale d’enfermement des sans-papiers dans les centres de rétention pourrait passer de 45 à 90 jours
Le ministère de l’Intérieur français tente de faire adopter un projet de loi controversé sur l’immigration visant à durcir la politique d’accueil des migrants et à faciliter l’expulsion des personnes en situation irrégulière.
Face à la levée de boucliers provoquée par certaines mesures, y compris au sein de la majorité, le gouvernement a annoncé des concessions.
Confronté à un début de fronde dans sa majorité, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb a fait retirer l’une des mesures phares du texte qui doit être examiné début 2018 par le parlement. L’objectif affiché de cette loi est de faciliter les expulsions de personnes en situation irrégulière vers les «pays sûrs» par lesquels elles auraient transité. Cette notion de pays sûr est vivement critiquée par les associations, ainsi que par certains élus de la majorité.
Concrètement, cette mesure visait à rendre plus simple la reconduite d’un étranger ayant transité par les pays sûrs, dont la liste va être établie par le gouvernement.
Aujourd’hui, un Soudanais ayant transité par la Turquie, puis par la Grèce avant d’arriver en France peut être renvoyé en Grèce, premier pays européen où il est entré, en vertu du règlement dit de «Dublin».
Avec la proposition du gouvernement, il serait expulsé directement en Turquie au motif qu’il aurait pu y formuler une demande d’asile, et ce, sans que l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra) ne se penche sur son cas.
«Les centres de rétention deviennent des centres de détention et sont indignes de notre République», s’est insurgée la députée de La République en marche (LREM), Sonia Krimi sous les applaudissements des députés de gauche.
«Tous les étrangers ne sont pas des terroristes, tous les étrangers de France ne sont pas des indélicats fraudeurs aux aides sociales », a ajouté l’élue franco-tunisienne de La Manche lors de sa prise de parole remarquée par les médias.
Face au risque de division des députés LREM, la place Beauvau a préféré faire machine arrière sur ce point. Le gouvernement a annoncé le 20 décembre que la future loi ne donnera pas la possibilité de renvoyer un demandeur d’asile «vers un pays tiers sûr».
Richard Ferrand, le chef du groupe LREM a tenté, de son côté, de ramener un peu de discipline dans les rangs de la majorité. «Silence et travail», a-t-il préconisé à ses députés, leur demandant de ne pas «tomber dans le piège» de la polémique.
La circulaire de la discorde
En revanche, le projet de loi contient toujours d’autres dispositions décriées par le monde associatif. La durée légale d’enfermement des sans-papiers dans les centres de rétention pourrait passer de 45 à 90 jours. Parallèlement, le gouvernement prévoit une augmentation du nombre de places de 1300 à 1700.
Sur le terrain, le durcissement de la politique migratoire a déjà commencé. Le 12 décembre, une circulaire, signée du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, et du ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, enjoint aux préfets de déployer des «équipes mobiles» pour «procéder à l’évaluation administrative» des personnes étrangères en hébergement d’urgence et de «veiller à une orientation adaptée» de ces migrants selon leur droit au séjour.
Ceux qui sont en situation irrégulière et faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire se verront proposer «une aide au retour». À défaut, la circulaire prévoit un dispositif de «retour contraint». Il s’agit pour le gouvernement de «retrouver de la fluidité dans ces structures d’hébergement» pour accueillir des sans-abri en cette période hivernale.
Le texte a eu l’effet d’un casus belli pour les associations. Une quinzaine d’associations ont quitté, il y a quelques jours, une réunion organisée par le ministre de l’Intérieur pour protester contre cette circulaire.
Pour ses détracteurs, ce texte franchit «trois lignes rouges : l’accueil inconditionnel, le non-respect de la loi informatique et libertés si on nous demande de transmettre des listes, et d’éventuelles interventions de la police dans les centres», explique Patrick Doutreligne, président de l’Union des organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), au journal La Croix.
«L’expérience montre que l’examen des situations va engendrer des assignations à résidence, des mesures d’éloignement et des mises en centre de rétention», s’inquiète Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade, l’une des principales associations d’aide aux étrangers en France. Selon lui, l’application de la circulaire aurait l’effet inverse à son objectif : «le risque est que ces personnes, apprenant l’existence de ces contrôles, ne viennent plus. Elles préféreront être à la rue et se désocialiser encore plus».
Les ONG ont fait du retrait de la circulaire du 12 décembre un préalable à toute autre discussion avec l’exécutif.