En Afrique de l’Ouest, Doha « éclipse » la crise du golfe
L’émir Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani du Qatar a effectué la semaine dernière (20-22 décembre 2017) une visite de travail et d'amitié dans six pays d’Afrique de l’ouest (Sénégal, Mali, Guinée-Conakry, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Ghana).
Nouer des partenariats solides dans des pays à «fort potentiel économique» et surtout contourner l’isolement diplomatique qui lui est imposé au Moyen-Orient.
Ainsi se résume, selon des observateurs, la tournée de trois jours que l’émir Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani du Qatar a effectué la semaine dernière (20-22 décembre 2017) dans six pays d’Afrique de l’ouest (Sénégal, Mali, Guinée-Conakry, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Ghana).
Chroniqueur malien indépendant, Abdoul Karim Dia met en avant la volonté de Doha de briser son isolement diplomatique. En effet, depuis plus de six mois, le Qatar est confronté aux conséquences de la crise diplomatique qui l’oppose à plusieurs autres pays arabes du Moyen-Orient.
Le 5 juin, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Bahreïn et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar et lui ont imposé un embargo, l’accusant de soutenir des groupes extrémistes (ce que Doha dément) et de se rapprocher de l’Iran, le grand rival de Ryad dans le Golfe. Les Qataris ont répliqué en accusant leurs adversaires de chercher à mettre sa politique étrangère «sous tutelle».
A Bamako, l’Emir a salué la position du Mali qui prône le dialogue pour dénouer cette crise. «Une position conciliante pour qui sait que, sur le continent africain, l’Egypte et la Mauritanie ont rompu leurs relations avec le Qatar. Le Niger, le Tchad et le Sénégal avaient rappelé leurs ambassadeurs», a rappelé Dia. Mais, l'ambassadeur du Sénégal est retourné, depuis, à Doha.
«La position du Mali dans la crise entre le Qatar et d’autres pays du Golfe est bonne et peut permettre d’engager avec cet Etat un partenariat stratégique qui assure à notre pays des marges de manœuvre nouvelles en termes de moyens de lutte contre les terroristes et d’actions en faveur du développement», a analysé l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara, approché par Anadolu.
Pour des observateurs, ce voyage visait à diversifier ses partenariats au-delà du Golfe persique. «Le Qatar veut sans doute renforcer ses liens avec l’Afrique subsaharienne et passer à l’étape de la présence physique au-delà de l’influence à distance qu’il avait adoptée par le passé», analyse Mara.
«Compte tenu des potentialités dont regorgent les pays visités, les enjeux économiques ne sont pas négligeables, même si au final les retombées sont discutables pour des pays comme le Mali. D’ailleurs le Mali et le Qatar n’ont signé que deux accords de 40 millions de dollars américains pour l’éducation et le sport», relève-t-il.
Toutefois, «l’Afrique est un marché ouvert où se jouera l’avenir du monde. Le Qatar n’aura donc d’autre choix que de rivaliser avec tous les pays ayant des intérêts à préserver sur ce continent», souligne à Anadolu Abdourhamane Dicko, membre influent de la société civile des régions du nord du Mali.
«Le Qatar est obligé de s’y positionner, seul ou en alliance avec d’autres puissances déjà présentes», a-t-il ajouté. Et de déplorer que l’Afrique soit juste devenue «un champ de bataille» qui n’arrive pas à «renforcer sa position en se basant sur ses potentiels qui ne semblent exister que pour les autres».
La sécurité et la lutte contre le terrorisme ont été beaucoup évoquées lors de cette tournée, notamment au Mali et Burkina Faso.
A Bamako par exemple, l’Emir Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani a assuré le président Ibrahim Boubacar Kéita de la solidarité du Qatar et sa pleine disponibilité à accompagner le Mali et le Sahel dans leurs efforts de lutte contre le terrorisme, la consolidation de la sécurité et de la stabilité.
Mais le Qatar a beaucoup à faire, surtout que l'Arabie Saoudite prévoit de contribuer à hauteur de 100 millions d'euros et les Emirats Arabes Unis de 30 millions d'euros à la force du G5 Sahel (Mali, Tchad, Burkina Faso, Niger, Mauritanie), composée de soldats des cinq pays de la région, et qui doit monter en puissance pour atteindre au moins 5.000 hommes d'ici au printemps 2018.
La coopération et le raffermissement des liens ont également été au coeur de cette tournée, comme au Sénégal, qui s'était rangé derrière l'Arabie Saoudite dans le le litige opposant les deux pays du Golfe.
Pourtant, les relations entre Doha et Dakar se sont consolidées ces dernières années. L'émir du Qatar était notamment intervenu en faveur de la remise en liberté de Karim Wade, fils et ancien ministre du président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012) condamné en mars 2015 à six ans de prison ferme et à plus de 210 millions d'euros d'amende pour "enrichissement illicite", ce qu'il a toujours nié.
Libéré le 24 juin 2016, Karim Wade s'était aussitôt envolé pour le Qatar, où il séjourne depuis, d'après les médias sénégalais.
En Côte d'Ivoire, quatre accords de coopération dans les domaines du transport aérien, de la jeunesse, du sport et de la culture, ont été signées par les deux parties à l'issue d'un entretien entre l'Emir du Qatar et le président ivoirien Alassane Ouattara.
Au Burkina Faso, le Qatar a annoncé qu'il allait participer au financement d'un hôpital dédié à la lutte contre le cancer au Burkina, à hauteur de 11,6 millions d'euros.
Une "opération séduction" pour Doha qui après avoir été ébranlé par ses voisins, espère se relever rapidement, selon les observateurs.