Cameroun - Sécession «anglophone»: Causes et limites d'un soulèvement "linguistique"

- En une seule année, une revendication corporatiste s’est transformée en un soulèvement armé

Cameroun - Sécession «anglophone»: Causes et limites d'un soulèvement "linguistique"

La crise anglophone au Cameroun a gagné en intensité au cours des dernier jours, notamment à la suite des attaques mortelles perpétrées par des activistes sécessionnistes contre les forces gouvernementales dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest, où est essentiellement établie la communauté anglophone de ce pays.

Ces attaques ont coûté la vie à 8 éléments parmi l’armée et la police, ce qui a contraint le président Paul Biya de sortir de son silence pour la première fois depuis plusieurs mois.

«Le Cameroun est victime des attaques à répétition d'une bande de terroristes se réclamant d'un mouvement sécessionniste», a déclaré le chef d’Etat camerounais le 30 novembre dernier.

«Face à ces actes d'agression, je tiens à rassurer le peuple camerounais que toutes les dispositions sont prises pour mettre hors d'état de nuire ces criminels et faire en sorte que la paix et la sécurité soient sauvegardées sur toute l'étendue du territoire national», a-t-il insisté.

Le lendemain, le ministre de la Défense Joseph Beti Assomo, rassemble les généraux des forces armées et annonce un déploiement militaire dans les régions anglophones. Des évolutions qui crispent davantage une situation déjà très tendue.

En réaction à la déclaration de Paul Biya, Sisiku Ayuk Tabe, le leader de la fronde anglophone s’est exprimé le 1er décembre en affirmant que « toutes les options sont sur la table, y compris l’option militaire». 
Pour réussir la partition du Cameroun, il indique que c’est pour cette lutte qu’il est prêt à se battre et qu’il est «prêt à mourir». Pourtant, tout a commencé comme une revendication corporatiste.

Des avocats relevant des régions anglophones avaient réclamé la traduction en anglais des textes nécessaires à leur travail et l’affectation de magistrats maîtrisant l’anglais dans les tribunaux traitant des affaires impliquant les citoyens anglophones.

La même réclamation a été faite au niveau des établissements scolaires. Pour la minorité anglophone concentrée dans les régions sud-ouest et nord-ouest du pays, il était inconcevable que l’anglais soit enseigné par des enseignants francophones à des élèves anglophones.

Ces revendications, pourtant adossées à des clauses de la Constitution en faveur du bilinguisme et du multiculturalisme, prenaient progressivement la forme de manifestations dans la rue et n’ont jamais été satisfaites, malgré les mesures d’apaisement prises par le gouvernement en janvier 2017, dont la création, le 24 janvier, d’une commission ad hoc, favorisant le dialogue et l’ouverture.

Bien au contraire, la tension a rapidement monté d’un cran, surtout après les manifestations réprimées à partir du mois de septembre. De nombreuses arrestations ont alors eu lieu, ajoutant aux réclamations des manifestations la libération des «militants anglophones» arrêtés.

- Le point de non retour

L’apogée de la crise a eu lieu le 1er octobre 2017, lors des grandes manifestations proclamant «l’Indépendance» des régions anglophones. Ces manifestations ont fait des dizaines de morts et plus de 100 blessés, sans compter les déplacés vers les régions francophones et le Nigéria.

C’était en quelque sorte le point de non-retour. Et malgré les appels lancés par la Communauté internationale (Nations-Unies, Organisation de la Francophonie et Union européenne), les tentatives de dialogue n’ont pas réussi. La mission dirigée par le Premier ministre Philemon Yang, du 15 au 24 octobre pour dialoguer avec les dirigeants du mouvement n’a pas donné de résultats.

Les anglophones veulent maintenant se séparer du pouvoir central de Yaoundé et fonder leur propre Etat. Mais la grande question qui se pose est par quels moyens?

Après les mouvements de rue et la répression qui s’en est suivi, les leaders du mouvement anglophone ont tenté de conférer une dimension internationale à leurs actions.

Des correspondances ont été adressées à différentes institutions internationales, en vue d’obtenir un soutien, mais jusqu’à présent aucun véritable appui international n’a été publiquement révélé.

Le seul élément qui pourrait être pris en considération, à ce niveau, est la présence actuelle du leader anglophone Sisuku Ayuk Tabe au Nigéria, d’où il a déclaré que toutes les options sont possibles, y compris l’insurrection armée.

Et effectivement, le déroulement des faits sur le terrain au cours de la semaine du 27 novembre au 3 décembre, prouvent que le mouvement a déjà commencé à utiliser des armes. Des individus « lourdement armés » ont attaqué, à plusieurs reprises des positions de l’armée et de la police camerounaises, faisant 8 morts, côté forces de l’ordre.

Ce qui a nécessité une réunion d’urgence, le 1er décembre, de tous les chefs de forces réglementaires. Une réunion qui s’est soldée par la décision d’un déploiement militaire dans les régions du sud-ouest et du nord-ouest.

Au plan politique, ces deux régions ont déjà annoncé une formation gouvernementale, le 24 novembre. Mais le gouvernement de Yaoundé a rapidement réagi, insistant sur l’intégrité territoriale du Cameroun et que pour gouverner, il y a un seul moyen : se présenter aux élections de 2018.

Pour rappel, la communauté anglophone compte environ 20% des 22 millions de Camerounais. Les régions du nord- ouest et du sud-ouest sont considérées parmi les plus pauvres au Cameroun, tout comme l’Extrême-nord.

Le Cameroun affiche pourtant de bonnes performances économiques, 3.5% de croissance par an selon le FMI.