Burundi-Elections de 2020 : Un impôt «volontaire» sème la discorde
- Les ministres burundais de l'Intérieur et des Finances ont publié une ordonnance commune instituant cette contribution
L’impôt institué par le gouvernement au cours du mois de décembre pour financer les élections de 2020 au Burundi est loin de faire l’unanimité.
Alors que les acteurs pro-régime ont rapidement afflué pour déposer leurs contributions, d’autres citoyens ont refusé le principe, considérant que l’Etat doit trouver lui-même les ressources nécessaires au financement des élections.
Les «pro-régime» se sont, en effet, bousculés au portillon pour apporter leurs contributions.
«Notre Forum vient de déposer sur le compte du financement des élections de 2020 un montant de 7 millions de Francs (un peu plus de 3000 dollars), nous sommes fières de ce geste citoyen», a déclaré à Anadolu Menedore Nibaruta, membre du Forum national des femmes, une structure largement dominée par des militantes du parti présidentiel.
La semaine dernière, le personnel de la présidence burundaise et d’autres services sous son contrôle direct a déposé en banque un montant de 51.850.500 francs, environ 25000 dollars.
«Nous venons de prouver notre attachement à la souveraineté de l’Etat et notre soutien à l’action du président Pierre Nkurunziza», a déclaré à la presse Mme Sabine Ntakarutimana, chef de cabinet civil adjoint à la présidence burundaise.
Ministres, gouverneurs de provinces, chefs d’entreprises et autres opérateurs ont, également, apporté leur contribution.
Même le militant Lambda du fond fin du Burundi n’est pas en reste. «Je vais contribuer aux élections, car sans elles c’est l’anarchie dans tout le pays», a déclaré à Anadolu Jérémie Ndihokubwayo, agro-éleveur de la commune Mutambu dans Bujumbura rural.
Alors que les partisans du pouvoir rivalisent d’ardeur et d’engouement pour ce geste «patriotique», les opposants et autres activistes de la société civile contestent la loi fixant l’impôt pour les élections de 2020.
«C’est un impôt illégal, car selon la constitution du Burundi, la population peut uniquement contribuer au financièrement en cas de catastrophe naturelle, or les élections ne sont pas des catastrophes naturelles», a déclaré à Anadolu Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques, Olucome.
Le gouvernement devrait financer le processus électoral sans recourir à cette contribution du peuple.
«Qu’un pays organise des élections par son propre budget sans demander des aides extérieures, c’est une très bonne chose, mais au lieu de demander des efforts aux citoyens sans ressources, le gouvernement devrait inclure régulièrement cette dépense dans le budget de l’Etat, car c’est une dépense ordinaire», a confié à Anadolu Faustin Ndikumana, activiste de la société civile et président de l’ONG Parole et action pour le réveil des consciences et le changement des mentalités.
Alors que jusqu'en 2015, le Burundi a toujours utilisé l'aide extérieure pour financer ses élections, le gouvernement a récemment imposé une contribution "volontaire" de la population pour financer les élections de 2020.
Le 12 décembre, les ministres burundais de l'Intérieur et des Finances ont publié une ordonnance commune instituant cette contribution. Selon cette ordonnance ministérielle, un paysan doit contribuer à hauteur de 2.000 francs burundais (0,95 euros) par an et un étudiant ou un élève (du secondaire) en âge de voter (18 ans) participera à hauteur de 1.000 francs par an.
La part des fonctionnaires sera prélevée chaque mois pendant deux ans (de janvier 2018 à fin décembre 2019) à la source d'une somme variable selon leur revenu.
Dénommée "autres", la 3ème catégorie comprend notamment ceux qui travaillent dans le privé, les ONG, les structures religieuses ou la diaspora burundaise, "leur contribution sera guidée par leur propre volonté et par le sens patriotique de chaque contributeur", selon ce texte.
Pour donner le bon exemple et motiver ses concitoyens encore réticents vis-à-vis de ce nouveau mécanisme de mobilisation du mutualisme public, le chef de l’Etat, a déjà donné le ton en déposant près de 3000 $.
La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) n’a pas encore fixé le montant requis pour organiser les élections de 2020.
Les précédentes élections générales controversées de 2015 n’avaient pas bénéficié des aides attendues des partenaires techniques et financiers. La Ceni avait sollicité autour de 40 millions de dollars.
La majorité des bailleurs de fonds ont suspendu leur appui financier, depuis la crise politique qui a commencé au lendemain de la réélection du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat fin avril 2015.
Au Burundi, le revenu national brut par habitant s'élevait à 280 dollars en 2016, et près de 65% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon les données de la Banque mondiale.
Depuis fin avril 2015, le Burundi traverse une grave crise politique émaillée de violences, déclenchée par la candidature controversée du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat. Ces violences ont déjà fait plus de 1000 morts et ont poussé plus de 400.000 personnes à l’exil selon l’ONU et les ONG.