Brésil: Alerte sur le Cerrado
Après l’Amazonie, la savane qui occupait un quart du territoire brésilien est, à son tour, en danger. Sa biodiversité et ses aquifères sont menacés par les monocultures du soja et de l’élevage.
Après l’Amazonie, la savane qui occupait un quart du territoire brésilien est, à son tour, en danger. Sa biodiversité et ses aquifères sont menacés par les monocultures du soja et de l’élevage.
Tandis que les communautés traditionnelles se battent pour conserver leurs terres, des multinationales, à la recherche d’un modèle vertueux, réclament "zéro déforestation" !
C’est avec des tronçonneuses et des pelleteuses, des engrais et des désherbants que l’agrobusiness brésilien s’occupe des hauts plateaux du Cerrado, au sud du Brésil. Ces savanes sud-américaines sont considérées comme le «berceau des eaux» et classées parmi les 35 «hotspots» de la planète.
Leur déforestation brutale avance 2 à 5 fois plus vite que la forêt amazonienne. A ce rythme, la planète enregistrera, dans 30 ans, la plus grande perte en biodiversité de son histoire, alertent les chercheurs.
Le jaguar (panthera onça), le loup-guarà (chrysocyon brachyurus), le tamanoir (myrmecophaga tridactyla), le tapir (tapirus terrestres) et le tatou géant (priodonte maximus), considérés comme les "Big five" du Cerrado, sont entrés sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et 137 autres espèces sont menacées.
Si l’Amazonie a encore 80% de sa couverture végétale, le Cerrado, lui, n’en a plus que 50%. La destruction a commencé dans les années 80 avec le charbon de bois, le bétail, le soja, le coton, la fameuse «frontière agricole» qui avance au rythme des bulldozers.
Elle a continué avec des villes surgies du jour au lendemain dans leur sillage.
Tout au nord du Brésil, se situe la ville de Luis Eduardo Magalhaes, dite "LEM" dans la méso-région du Matopiba. La taille de Matopiba équivaut à celle de l’Allemagne. Son nom est l’acronyme de 4 Etats voisins qui composent cette «nouvelle frontière agricole»: Maranhao, Tocantins, Piaui, Bahia.
Jusque dans les années 2000, on considérait que le sol pauvre de sa savane était improductif. Mais l’Embrapa, l’Institut brésilien de recherches agronomes a ridiculisé cette approche en plantant du soja à l’infini avec des technologies de pointe et des organismes génétiquement modifiés.
Alors que la croissance annuelle de production du soja au Brésil est de 5%, ce taux atteint les 20% dans le Matopiba. A LEM (extrême nord de l’Etat de Bahia), sont maintenant installés les 8 plus gros traders alimentaires du monde, dont la française Louis Dreyfus. Entre 2000 et 2015, la population de LEM est passée de 18 000 à 800 000 habitants.
C’est la ville qui grandit le plus vite au Brésil. La savane brésilienne produit 54% du soja national.
Plus au sud, dans l’État du Goias, sur les terres plates à l’infini qui ont fait son succès et sa perte, le Cerrado a été arraché quand l’hectare coûtait le prix d’un paquet de cigarette. A Sao Miguel do Araguia, une bourgade de 20 000 habitants située à 500 kilomètres de Brasilia, un océan vert a surgi, 135 000 hectares de pâturages artificiels, l'équivalent de la superficie de New York.
La Fazenda MJW élève ici 200 000 têtes de bétail, plante 780 hectares en soja, le tout desservi par un réseau privé de 970 kilomètres de routes avec une entreprise frigorifique qui abat 10 000 bœufs par jour.
La savane brésilienne produit 54% de la viande brésilienne d’abattage et 41% de sa production de lait.
«Le Cerrado, détient le record du Brésil en densité de ranches, fazendas, fermes d’élevage et plantations intensives avec 88 millions d’hectares, 44% de la surface nationale», commente Mercédes Bustamante, une chercheuse de l’Université Fédérale de Brasilia, qui défend le «Cerrado» à l’Académie des Sciences Brésiliennes.
Pendant trois décennies, lorsqu’on a dit que le bœuf, la canne ou le soja menaçaient «l’Amazonie», on ne savait pas qu’il s’agissait souvent de savanes.
Héritée des années 60, une terminologie administrative qualifie en effet d’Amazonie Légale, une région grande comme l’Europe située au Nord du Brésil.
Or cette Amazonie Légale englobe deux réalités biogéographiques distinctes: les forêts humides de l’Amazonie et les savanes arborées du Cerrado.
C’est comme si, quand on parlait de Rhône-Alpes, on évoquait la vallée du Rhône en oubliant les Alpes! L’Amazonie, c’est l’arbre qui cache la forêt. Ainsi pendant que l’Amazonie, sous les feux de la rampe, perdait 4800 km² en 2014, la savane, dans un silence assourdissant, en perdait 7000 dans la seule région de Matopiba.
Pendant qu’on protégeait l’Amazonie, on massacrait le Cerrado.
Des lois, fixées par le Code forestier, permettent à chaque propriété privée d’Amazonie d’exploiter 20% des terres, à condition de laisser 80% des surfaces en forêt native.
Cette protection privée de l’environnement s’appelle «la réserve légale». Elle privilégie les forêts. Considéré comme une prairie, bien que la savane arborée y soit présente, le Cerrado, lui, peut être mis en exploitation sur 65% des terres et à peine 35% doivent être protégées.
L’inverse! La Constitution brésilienne a décrété l’Amazonie «patrimoine national», mais n’a rien dit du Cerrado. Résultat : à peine 10% des savanes brésiliennes sont protégées par les parcs nationaux brésiliens.
Douze millions d’habitants vivent, aujourd’hui, dans le Cerrado, mais la plupart sont en ville. Restent dans les campagnes, à la périphérie des exploitations industrielles de soja, de coton, de canne à sucre, d’eucalyptus et d’élevage, des villages indigènes en cours de démarcation et des descendants d’esclaves fugitifs, les fameuses «quilombolas».
Au Sud de Brasilia, les Indiens Guarani-kawiowa se battent pour récupérer leurs terres. Il y a eu des affrontements et des morts.
Au nord, les descendants des «nègres marrons» se font voler leurs terres par les artifices juridiques d’avocats peu scrupuleux, au service des propriétaires.
Isabel Figueiredo, coordinatrice nationale des micro-projets de l’ISPN, une association financée par le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement) et le GEF (Fonds pour l’Environnement Mondial), indique comment l’agro-négoce opère auprès des «raizeiros» et des «geraizeiros», ces populations traditionnelles des plateaux qui savent si bien entretenir le paysage du Cerrado et tirer partie de ses racines.
«Les grands propriétaires commencent par occuper le sommet des plateaux, idéal pour l’agriculture mécanisée avec ses terres planes à perte d’horizon. Ils arrachent le Cerrado. Les populations locales se replient. Elles vivent confinées sur les pentes et dans les petites vallées encore arborées. Mais bientôt, le grand propriétaire, tenu de constituer une «réserve légale» en végétation native, s’intéresse aux pentes et aux vallées là où il y a des arbres. Ses vigiles tournent autour des maisons et harcèlent les paysans jusqu’à ce que les familles abandonnent la terre».
Paradoxalement, la solution pourrait venir là où les problèmes ont commencé: avec le business. L’organisation internationale WWF rapporte que fin 2017, vingt-trois multinationales ont signé une lettre d’engagement "Zéro déforestation" en faveur du Cerrado. Elles promettent de défendre ce biome, en exigeant de leurs fournisseurs locaux, une production vertueuse.
Parmi elles, Wallmart, Unilever, Carrefour, Nestle, Mark &Spencer, Mac Donald, L’Oréal et même le trader Louis Dreyfus. C’est à l’appel du Prince Charles et des défenseurs de l’environnement, que ces géants de l’agro-alimentaire et de la grande distribution reconnaissent l’importance des savanes brésiliennes comme producteur d’eau douce et capteur de CO2.
Le Cerrado stocke 14 milliards de tonnes de CO2 dans sa végétation:11 fois le volume que le Brésil aura le droit d’émettre en 2030!