Un survivant autochtone des Pensionnats de l’Eglise: Le pardon, oui, l’oubli jamais!
Le Pape François effectue, du 24 au 29 juillet courant, une visite historique au Canada pour rencontrer les populations autochtones, qui ont subi les pires exactions, œuvre de nombre de prêtres et de religieuses de l’Eglise catholique, et leur présenter, sur leur terre, cette fois-ci, des excuses officielles.
Le souverain pontife avait reçu, au printemps dernier, dans la Cité du Vatican, trois délégations d’Autochtones et des Premières Nations, à qui il a présenté les excuses de l’Eglise pour « la conduite déplorable de certains membres de l’Eglise catholique », leur promettant de se déplacer, « chez eux », en personne au courant de l’été.
Il convient de noter que les Églises anglicane et catholique ainsi que les colons et les autorités canadiennes ont commis de multiples abus et excès à l’endroit des populations autochtones, ce qui avait amené la « Commission de Vérité et Réconciliation », dans un célèbre et volumineux rapport de 2015, à parler de « génocide culturel ».
Ce génocide a touché indifféremment l’ensemble des franges des populations autochtones mais ont ciblé, particulièrement, les enfants parmi eux pour des fins « d’intégration ».
Cela nous renvoie à l’épisode macabre et tristement célèbre des enfants autochtones qui ont été logés et « éduqués », pendant plus d’un siècle et demi, dans des pensionnats qui étaient administrés par l’Eglise, notamment, l’Eglise catholique, qui fût la dernière partie à formuler des excuses, mais aussi par les autorités fédérales ensuite.
En effet, ce ne sont pas moins de 150 mille enfants autochtones, entre les années 1831 et 1997 (date de la fermeture du dernier pensionnant), qui ont été arrachés de force à leurs familles et à leur milieu, pour les « assimiler » par le truchement d’abus corporels, de viols et de malnutrition.
Notons que sur les 150 000 enfants autochtones qui ont été contraints de fréquenter les pensionnats ecclésiastiques, ce sont plus de quatre mille, selon les chiffres et les estimations de la « Commission de vérité et réconciliation du Canada » qui « sont morts dans ces lieux et que de nombreux autres n’ont pas été identifiés ou ont été portés disparus ».
En dépit des excuses, des gestes de bonne intention et des multiples indemnisations, lancées ou en cours de concrétisation, la plaie des Autochtones canadiens est toujours béante et la couleuvre du passif du passé colonial et des religieux n’est toujours pas avalée, en particulier, pour les survivants parmi les enfants et qui sont aujourd’hui à l’âge adulte.
Cherchant à en savoir plus, l’Agence Anadolu a tenté de joindre l’un de ses survivants à la terreur, l’un de ses revenants d’outre-tombe, qui a accepté, après hésitation et avec pudeur et douleur, de se livrer, au cours d’un entretien téléphonique.
La voix tremblante et par moment chevrotante, notre interlocuteur, que l’on désignera par ses initiales, T.B, respectant ainsi son souhait de se draper du couvert de l’anonymat, a commencé à nous narrer son histoire personnelle d’une enfance déchirante et déchirée, qui a gâché sa jeunesse et qui le traumatise, aujourd’hui encore, alors qu’il est au crépuscule de sa vie.
TB nous lance, de manière lapidaire mais intense, en réponse à notre première question sur le fait s’il pardonne à ses « malfaiteurs » et s’il oublie leurs exactions : « Le pardon oui, l’oubli jamais ».
Celui qui se remémore à peine du visage de ses géniteurs, ayant été arrachée de force du cocon familial, à la fin des années 1950, lâche, sous notre insistance, que les six ans passés au sein du pensionnant ont détruit à jamais sa vie.
En effet, a-t-il poursuivi son récit, atteint en son for intérieur par les abus corporels et psychologiques durant ces années d’enfer, il a, dans une vaine tentative d’oublier et de jeter aux tréfonds de son être des pratiques abjectes, sombré dans l’alcool jusqu’à devenir une loque ou un « mort-vivant ».
Se retenant encore et toujours, TB, cet adulte-enfant âgé de 71 ans, a dévoilé timidement un pan des souffrances qu’il a subies, essayant, dans un effort surnaturel, de laisser enfouis des souvenirs, dont la tristesse le disputait à la rage.
Toutefois, cette rage cède le pas, au terme d’un long silence, à l’apaisement, en estimant que « Ce sont eux (les prêtres) qui doivent avoir honte et qui doivent souffrir ».
Parmi les détails des sévices que TB a accepté d’en parler figure ce « lavage de bouche avec du savon quand on parlait notre langue », et c’est la où le génocide culturel mis en exergue par la « Commission de Vérité et Réconciliation » trouve toute son illustration frappante, dans une volonté franche et sauvage d’acculturation.
Par ailleurs, et tout en se rappelant, avec soulagement, comment il a échappé, un soir hivernal neigeux et venteux, à un viol certain, T.B relate, les yeux larmoyants, les sévices ont a été victime un de ses amis avec qui il a partagé plusieurs années de son existence, et qui n’a pas pu se remettre, sa vie durant, d’un acte ignoble et infâme, œuvre d’un prêtre pédophile et malade.
Un autre exemple aussi affligeant que dégradant est celui d’être obligés, ses camarades et lui, après avoir été battus, de « se frotter avec du détergent pour enlever le brun de notre peau ».
Tous ces sévices et bien d’autres encore ont fait que TB a souffert dans sa chair, mais aussi dans son esprit, alors que son seul et unique tort était d’avoir une langue différente, une couleur de peau différente, des traits différents et des us et coutumes différents de l’autre.
Cet autre, venu d’ailleurs pour ne pas se contenter de coloniser la propre terre de TB et de ses semblables, mais pour leur refuser le droit naturel d’existence comme leurs parents et aïeux l’ont fait, des siècles durant, avant la venue des colons explorateurs, avec comme mission de « civiliser l’indigène ».
A notre ultime interrogation sur ce que représentait pour lui la venue du souverain pontife pour présenter des excuses aux Autochtones, T.B a estimé, la voix basse et presque éteinte : « C’est une bonne chose si cela pourrait faire avancer la réconciliation, la vraie, parce qu’il reste encore beaucoup à faire et le chemin à parcourir est encore long ».
Et puis, un bref instant avant de raccrocher, il a lancé avec une voix de Stentor : « Mais cela ne nous rendra surement pas nos plus belles années volées et les autres gâchées ».