Turquie : Journalistes malgré leur handicap
- Deux journalistes Namik Tuncel, non-voyant et Suat Salgin, handicapé des membres inférieurs, s'appliquent à faire vivre le journal local du district d'Ayvalik, dans la province de Balikesir (Sud-ouest)
Depuis quatre ans, la rédaction de l'hebdomadaire du district d'Ayvalik est gérée par deux journalistes, dont l'un est non-voyant, Namik Tuncel et l'autre handicapé des membres inféreurs, Suat Salgin.
Journaliste freelance pour l'Agence Anadolu, à Ayvalik, Suat Salgin exerce en compagnie de son collègue, Tuncel. Tous deux se chargent de la rédaction du journal hebdomadaire local nommé « Medya Ayvalik », ainsi que du magazine mensuel, dont la parution en est actuellement à sa 5ème édition.
Salgin âgé de 45 ans constitue, tout comme son ami Tuncel, un modèle de détermination pour les personnes en situation d'invalidité.
Malgré son handicap, Salgin, se déplace depuis treize ans, à l'aide de son scooter électrique à trois roues ainsi que ses deux béquilles.
Ce dernier explique qu'il est paralysé depuis l'âge de 1 an et demi.
Diplômé de la Faculté de Communication de l'Université Anadolu (Eskisehir, ouest), Salgin indique qu'il a travaillé dans diverses agences de presse et journaux, à Ayvalik.
Aujourd'hui, tous deux s'appliquent à faire vivre le journal local hebdomadaire, en dépit de toutes les difficultés que cela génère.
Il explique que le journal est le résultat conjoint d'un "aveugle" et d'un "boiteux", expression qu'ils utilisent pour se qualifier.
« Notre objectif est de servir notre district, Ayvalik et notre pays. Nous souhaitons vivre dans un pays où tout va pour le mieux. C'est avec cet état d'esprit que nous travaillons et cela nous conduit de facto à mettre l'accent sur les lacunes et à critiquer ce qui ne convient pas afin que ces désagréments soient corrigés », dit-il.
Salgin explique également les difficultés qu'ils ont vécu avec son collègue lorsqu'ils ont commencé à exercer le métier.
"Les gens ne nous prenaient pas toujours au sérieux, lorsque nous partions, avec mon ami, pour recueillir des informations. L'un est non-voyant et l'autre est handicapé de ses jambes. Nos distributeurs de journaux sont également en situation de handicap.
Forcément, les gens pensaient que nous ne pourrions pas exercer longtemps".
Tuncel, père de deux enfants et âgé de 51 ans indique que son épouse d'origine allemande, Sandy Tuncel, est son plus grand soutien. Il précise que c'est elle qui l'accompagne lors de ses déplacements pour la collecte d'informations.
Ce dernier raconte qu'il a perdu la vue à 25 ans, à la suite d'un accident de la route causé par un conducteur en état d'ivresse.
Tuncel confie qu'il a créé "l'amicale équitable et sociale des personnes en situation de handicap (ASTED)'', dont il est le coordinateur général afin d'attirer l'attention du grand public et lutter contre les accidents de la route en Turquie.
- "Le journalisme ne se limite pas à un micro et une caméra"
Tuncel, explique qu'il exerce le métier depuis deux ans avant d'ajouter que ses articles figurent dans le journal local. Les images, qu'il prend en compagnie de son épouse, sont quant à elles partagées sur le site internet du journal.
"J'étais très curieux au sujet du journalisme. Un jour j'ai demandé à Suat si je pouvais aussi exercer cette fonction et il m'a fait découvrir le métier. Depuis, je travaille comme journaliste. C'est un métier réellement difficile qui nécessite de grandes responsabilités.
Notre objectif n'est pas seulement de publier des articles pour la simple raison que nous sommes journalistes. Nous effectuons de vraies recherches approfondies sur les sujets en question et nous agissons en toute conscience".
Tuncel souligne qu'il ne peut exercer le métier sans l'aide de sa conjointe car le journalisme ne se limite pas au micro et à la caméra.
"Lorsque nous réalisons des reportages, nous devons faire attention à l'ensemble des détails. Malheureusement, il m'est impossible de voir les expressions sur le visage des personnes lorsque nous les filmons. Ce sont ces mimiques qui font toute la différence et il faut les filmer au bon moment".
- "Nous avons renvoyé "l'aveugle" maintenant c'est le "boiteux" qui vient"
Tuncel explique que les gens qu'ils souhaitent interroger, sont stupéfaits lorsqu'il découvrent sa déficience visuelle lors des interviews.
"La seule personne non handicapée parmi nous est ma femme. Lorsque j'ai commencé à exercer les gens ne me prenaient pas au sérieux et étaient réticents à l'idée de partager des informations avec moi.
C'est pourquoi Suat était contraint de revenir sur les lieux, juste après moi. Les gens rétorquaient, en guise de plaisanterie "Nous avons renvoyé l'aveugle maintenant c'est le boiteux qui vient". Désormais tout le monde nous connaît".
Sandy Tuncel, épouse du journaliste non-voyant, explique qu'elle se charge essentiellement de filmer et de photographier. Elle indique que la vie de son mari a changé depuis qu'il est journaliste.
"Nous avons d'abord fait de longues recherches sur le journalisme. Puis il a été convaincu par l'idée que des personnes en situation de handicap doivent aussi avoir la possibilité d'exercer ce métier. Je dois avouer qu'au départ j'étais inquiète. Toutefois, aujourd'hui nous exerçons ensemble avec volonté et amour".
Enfin, Namik Tuncel et Suat Salgin ont rappelé leur engagement à l'occasion du 10 janvier : Journée des journalistes actifs en Turquie.