Tunisie/Cité de la Culture : A événement, un événement et demi
Il aura fallu près de dix-huit ans pour que le projet se concrétise et quatorze pour que les travaux, interrompus plus d'une fois, prennent fin. En Tunisie, la Cité de la Culture dont Ben Ali rêvait de faire le fleuron des réalisations de son règne, s'ouvrira sans lui et c'est le nom de Béji Caïd Essebsi qui sera gravé sur le rectangle de marbre commémorant l'inauguration de cette cité impressionnante, inégalée dans son environnement méditerranéen, arabe et africain.
C'est donc le Chef de l'Etat qui présidera l'ouverture officielle qui aura lieu mercredi, et ce dans le sillage de la célébration du 62è anniversaire de la fête de l'indépendance (20 mars). Un événement qui sera relevé par tout un programme dont Mohamed Zinelabidine, le ministre des Affaires culturelles, nous offre la primeur. Il nous livre également la mission multidimensionnelle de cette Cité de la Culture qu'il qualifie, à juste titre d'ailleurs, de fierté nationale.
Majestueuse par ses dimensions et son architecture, elle en impose par ses nombreux espaces de répétitions, de projections et de représentations, surtout ses trois théâtres sur lesquels trône celui de l'Opéra (1800 places) qui accueillera mercredi l'éternel chef-d'oeuvre "Carmen", joué et chanté par 80 musiciens, choristes et solistes de l'Orchestre et le choeur de l'Opéra de Tunis, avec la participation de 80 homologues ukrainiens.
Ce sera le clou de l'ouverture de la Cité de la Culture, mais auparavant, le président de la République et les invités auront de la marche à faire puisqu'ils rehausseront de leur présence le démarrage des différentes activités qu'elle abrite répartis en grands pôles (musique, opéra, ballet, théâtre, cinéma, livres, arts plastiques).
Ils inaugureront ainsi et entre autres, la cinémathèque en présence notamment de l'actrice -tunisienne de naissance- Claudia Cardinale, ainsi que deux expositions accueillies par les galeries du tant attendu Musée national d'art moderne et contemporain. La première portera sur la mémoire de la sculpture en Tunisie, alors que la seconde, baptisée "Modernité tunisienne", sera d'ordre historique.
De Ahmed Bey à Tahar Haddad, en passant par d'autres noms tout aussi éclairés et réformateurs comme les Snoussi, Thâalbi et consorts, un siècle (1830 - 1930) d'apports et d'innovations dans le domaine de la promotion de la condition humaine et citoyenne, sera visité à travers des ouvrages, des manuscrits, des photos, des instruments de musique... Ils ne manqueront pas non plus de se rendre dans la Tour de la culture qui, malgré ses seulement 60 mètres de hauteur, permet d'avoir une vue imprenable sur le lac de Tunis et sur une bonne partie du centre ville.
-Au public la part belle
Dès le lendemain, le large public pourra profiter du même parcours et du même opéra "Carmen" qui sera donné en seconde soirée. Mieux, l'après-midi il aura eu le temps d'assister à l'ouverture des Journées poétiques de Carthage, une autre innovation pour marquer l'entrée de la Cité dans l'action culturelle qui ne 'se limitera à la création artistique ou à l'accueil des manifestations phares, mais s'étendra à la préservation du patrimoine dans toute sa diversité et à la formation dans de nouvelles disciplines artistiques et techniques, comme le précise le ministre.
Et ce n'est pas tout, puisque la chorégraphie aura elle aussi ses premières journées de Carthage à partir du 29 avril, suivie par les arts contemporains, début juin. Ainsi poésie, danse et arts plastiques rejoignent le cinéma, le théâtre et la musique déjà dotés de leurs Journées de Carthage.
Mais avec tout son potentiel et les moyens dont elle est dotée, la Cité ne risque-t-elle pas d'estomper la culture dans les régions, de faire trop d'ombre aux structures publiques et privées déjà existantes? "Mais c'est tout le contraire de notre politique", s'empresse de rétorquer le Mohamed Zinelabidine et d'expliquer que le soutien du ministère aux espaces, aux institutions et aux créateurs, devenu plus rationnel est et sera le même.
Et s'il peut être accru, en fonction de la qualité, de l'opportunité et de l'intérêt des projets, il ne sera jamais au détriment des régions, longtemps marginalisées. "D'ailleurs, pour répondre à la première partie de votre question, les saisons de culture (minière, insulaires, transfrontalières et sahariennes) que nous avons créées, sont destinées à mettre en valeur le cru culturel régional et à dynamiser la création dans l'ensemble du pays, afin qu'elle ne soit pas l'exclusive de la capitale ou des grandes villes", dit-il. toujours dans le même sens.
Le ministre rappelle que les trois récents grands projets (Tunisie cité des arts, des civilisations, des lettres et du livre) profitent essentiellement aux opérateurs culturels dans les régions où, d'un autre côté, 46 nouvelles maisons de culture et bibliothèques ont été ouvertes et cent autres restaurées.
"Notre slogan 'une culture partout et pour tous' n'est pas un vain mot; Nous tablons sur une culture sans improvisation, où l'événementiel a sa place mais qui n'en est pas la base. Une culture porteuse des valeurs de la citoyenneté tout en étant le vivier du développement qui ne se fait pas seulement à travers l'économique, le scientifique ou le technologique. Cette culture-là ne connaît pas les exclusives régionales, même si la Cité de la Culture en sera la vitrine et le dynamo", dit-il.
Mais comment assurer le fonctionnement d'une structure aussi gigantesque, sans compter les salaires, le financement des autres institutions, projets et grandes manifestations ? Ce ne sont certainement pas les 265 millions de dinars qui constituent le budget du ministère, qui vont suffire.
A cela Zinelabidine répond que tous les projets évoqués sont du domaine du concret et que s'ils ont été réalisés, c'est parce qu'on a su intéresser des opérateurs publics et privés pour des partenariats gagnant - gagnant.
"Par ailleurs et en plus de l'élection de la Tunisie à la présidence du Congrès des ministres arabes de la Culture (2016 - 2018) pour sa politique culturelle, l'Union européenne a choisi notre pays, après évaluation de ses projets de réforme culturelle, comme partenaire hors européen unique pour le programme "Europe Créative" (2017 - 2020).
Une manne de 1.4 milliard de dollars qui profitera aux créateurs, aux associations et aux structures, au même titre et à la même hauteur que leurs homologues européens", conclut le ministre, avant de retourner une énième fois à la Cité de la Culture pour superviser les dernières retouches, avant son ouverture multi-événementielle.