Tunisie: La loi de finances de toutes les contestations
Reculera, reculera pas ? C’est en ce moment la lancinante question que se posent les observateurs de tous bords, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Tunisie.
Trois jours après le début des manifestations de contestation dont les débordements ont même amené certains responsables politiques à préconiser l’instauration du couvre-feu, le Chef du gouvernement, Youssef Chahed semble toujours déterminé à aller jusqu’au bout dans sa logique de redresser des finances publiques et remettre le pays au travail.
Il est, à cet égard, opportun de rappeler que lors de son discours sollicitant la confiance l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il avait solennellement déclaré que si la situation économique ne s’améliore pas en 2017, le gouvernement sera fatalement amené à prendre des mesures d’austérité en 2018.
A l’évidence, s’il convient de lui donner quitus d’avoir tenu une promesse, pour le moment du moins, ce serait bien pour celle-là. Car, quoi qu’on dise, les résultats affichés par l’économie du pays ne sont pas reluisants.
Certes, l’économie du pays donne des signes de reprise, les intentions d’investissement industriel sont en hausse et les exportations ont repris quelques couleurs, il ne convient pas de s’en réjouir outre mesure.
Cette petite éclaircie risque de n’être que de courte durée. Le nuage des déficits jumeaux et celui de l’endettement demeurent trop épais qu’il convient d’abord de les dissiper par un souffle d’assainissement des finances publiques et une mise en apnée momentanée de la consommation.
La loi de finances 2018 répond-elle à cet impératif ? L’objectif de ramener le déficit budgétaire sous la barre de 5% du PIB et de plafonner l’endettement du pays à 70% est clairement affirmé. En tout cas, il constitue la priorité absolue ; le pré-requis à toute mise en œuvre de réformes structurelles dont a besoin l’économie du pays pour amorcer son décollage.
Cependant, il semble que l’on n’a pas suffisamment mesuré l’ampleur de ses impacts. Mettre un frein aux déficits jumeaux supposait bien que l’Etat allait d’une part accroître la pression fiscale et donc d’augmenter ses ressources et d’autre part de limiter ses dépenses.
La hausse d’un point de la TVA et l’élargissement de son assiette, la révision des conditions de bénéfice au régime fiscal forfaitaire, le plafonnement de l’enveloppe de subvention à 3,5 milliards de dinars (1,2 milliards d’euros) reflète, entre autres, cette option.
Réduire le déficit des paiements courants supposait l’instauration de nouvelles barrières tarifaires pour réduire les importations. L’introduction de nouveaux droits de douane et de taxes à effet équivalents illustrait la démarche.
Les députés de l’Assemblée nationale constituante qui ont majoritairement adopté le projet de loi de finances prévoyant toutes les mesures précitées n’auraient pas suffisamment jaugé ses conséquences sur le niveau général des prix, ni imaginer les effets d’annonce auprès de l’opinion publique, producteurs et consommateurs. Pourtant, la contestation couvait.
Elle émanera d’abord des producteurs qui par le biais de leur organisations patronales, l’UTICA ou la CONECT, se sont alarmés de mesures qui alourdissent leurs charges et ne leur fournit plus aucune marge de manœuvre sauf de répercuter ces nouvelles charges sur les prix de revient et les prix de vente.
L’organisation syndicale des travailleurs, l’UGTT, avait, elle aussi, alerté sur les effets de telles mesures sur le pouvoir d’achat, d’autant que, dans le même temps, les salaires allaient être amputés d’un point de 1% pour renflouer les régimes de retraite et de maladie des Caisses de sécurité sociale.
Il faut bien avouer qu’on appréhendait les premiers effets de l’application de la loi de finances.
Dès les premiers jours, les médias se sont fait l’écho du mécontentement populaire. Les premières manifestations organisées par des jeunes des cités populaires allaient progressivement prendre des allures d’une contestation généralisée qui frisera, au fil des jours, l’émeute avec ses débordements en termes de casses, d’incendie et de pillage, d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.
Le bilan des contestations n’est heureusement pas lourd, même si l’on dénombre un mort, plusieurs dizaines de blessés et des centaines d’interpellations. A la veille de la célébration du 7e anniversaire de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011, le contexte n’est forcément pas réjouissant.
Et les soubresauts ne vont pas s’atténuer pour autant. Et si un certain calme est revenu, il demeure précaire dans l’attente de la réaction des salariés qui vont constater à la fin du moins une réduction de leurs rémunérations nets.