Tunisie : Désenchantement, sept ans après la révolution

Appels à une mobilisation, dimanche, contre la hausse des prix

Tunisie : Désenchantement, sept ans après la révolution

Sept ans après, les Tunisiens se posent encore des questions sur leur révolution qui les avait libérés, un certain 14 janvier 2011, d’un régime qui les étouffait depuis plus de vingt ans. 

Ce jour-là, dans un élan de masse qui a secoué tout le pays du nord au sud, ils avaient, contre vents et marées, évincé un régime policier particulièrement répressif. 

L’étincelle avait été donnée le 10 décembre 2010 par un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, qui s’était immolé par le feu en signe de révolte contre le harcèlement de la police municipale de Sidi Bouzid, une région déshéritée du centre tunisien. 

Son acte de désespoir avait fait tache d’huile à travers le pays, provoquant un soulèvement populaire qui avait fini par faire fuir vers l’Arabie Saoudite, l’homme qui les a longtemps réprimés, l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. 

Des milliers de personnes rassemblés devant le bâtiment du ministère de l’Intérieur, tant honni, lui lançaient en chœur et pendant des heures, le fameux slogan « Dégage », devenu un leitmotiv dans d’autres pays pour se débarrasser à leur tour, de leurs dictateurs comme ce fut le cas instantanément en Egypte, puis en Libye. 

Ce qui était appelé depuis, «la révolution du jasmin», en référence à une fleur typiquement tunisienne, a aussitôt provoqué une onde choc dans plusieurs pays de la région. 

Si le mouvement contestataire dit «printemps arabe», a mal tourné dans ces pays occasionnant le chaos et une effusion de sang comme c’est le cas aujourd’hui encore en Libye, en Syrie et au Yémen et l’instauration d’un régime militaire en Egypte, la Tunisie faisait plutôt l’exception jusque-là. 

Une transition démocratique était engagée qui a abouti à l’adoption d’une Constitution progressiste et permis l’organisation d’élections libres et plurielles tandis que des institutions indépendantes ont commencé à voir le jour. 

Désormais, la nouvelle loi fondamentale garantit les libertés d’expression, de conscience et de culte et les droits des femmes et l’égalité des sexes. 

Même les crises épisodiques apparues après l’assassinat en 2012 de deux dirigeants de l’opposition qui menaçaient de plonger le pays dans une guerre civile, ont pu être dépassées grâce au dialogue entre partis politiques et organisations de masse et à l’esprit de consensus qui a valu à la Tunisie le «Prix Nobel de la paix» en 2015. 

Grâce à ces acquis, le pays du jasmin était considéré par la communauté internationale comme un «modèle». 

Mais, il y avait le revers de la médaille. Des mobiles essentiels de la révolution étaient pratiquement ignorés. Outre la liberté, les jeunes qui ont fait cette révolution réclamaient le travail et la dignité. 

Il est un fait que les six gouvernements qui se sont succédé depuis 2011, se sont plus soucié des tiraillements politiques et du pouvoir que des attentes des jeunes chômeurs et des classes et régions pauvres. 

Sept ans après, le chômage et la pauvreté qui affectent une grande partie de la population restent à des taux élevés, voire plus qu’avant la révolution. 

Les régions démunies de l’intérieur du pays ploient toujours dans la marginalisation et ne voient rien venir de palpable pour améliorer leur sort. 

«On ne connaît pas dans l’histoire contemporaine, une révolution qui ait réussi à corriger les tares si des réformes ne sont pas entreprises directement après son déclenchement car le temps en faveur des pesanteurs du passé», opine l’académicien Habib Touhami dans un article publié sur sa page Facebook. 

Selon lui, «en donnant la priorité absolue au processus électoral depuis 2011, les partis politiques ont continuellement retardé la réalisation des objectifs sociaux et économiques et y ont trouvé un prétexte pour ne pas s’attaquer aux problèmes qui se posent à ces niveaux». 

«Mus par une culture d’opposition et non pas de gouvernance, les cadres de ces partis n’avaient pas de projets économiques et sociaux alternatifs, mais étaient plus motivés par leurs ambitions partisanes et personnelles», déplore-t-il. 

De fait, les clignotants des indicateurs économiques et sociaux marqués par des déficits et un endettement sans précédents, étaient presque tous au rouge, «même au rouge foncé», dira à l’agence Anadolu, l’expert économique Azzeddine Saïdane. 

Il ne fallait plus pour que, face à la détérioration continue de leurs conditions de vie, les Tunisiens qui ont perdu confiance dans les dirigeants politiques, de l’aveu même du premier ministre Youssef Chahed, sautent sur la première occasion pour exprimer leur ras-le-bol. 

Comme lors de la «révolte du pain» qui a ensanglanté le pays en 1983/1984, la Loi de finance de 2018 qui a instauré des hausses des prix et de nouvelles taxes, a été la goutte qui a fait déborder le vase. 

Confrontée déjà à l’usure de leur pouvoir d’achat avec une inflation de plus de 6%, selon les chiffres officiels, mais que les experts évaluent à plus de 9%, la population est vite descendue dans la rue pour manifester sa colère. 

«Cela fait sept ans que je suis au chômage et je ne vois rien venir, aucune lueur d’espoir pour un avenir meilleur», tempête Ali Ben Mahmoud, un jeune diplômé qui participait à la manifestation initiée par le mouvement citoyen «Fesh Nestanaou» (Qu’est-ce qu’on attend). 

Couffin à la main «presque vide», Fatma Ben Hassine, interrogée par Anadolu, renchérit : «la révolution ne nous a rien apporté de concret dans leur vécu quotidien qui ne fait que se dégrader de plus en plus. On désespère des politiques qui ne se préoccupent que de leur confort ». 

Pendant trois jours, le pays a été embrasé, les protestations tournant souvent au pillage, au vol et au saccage de postes de police, de magasins et de banques. 

Des affrontements violents ont opposé dans de nombreuses régions du pays force de l’ordre et manifestants dont plus de 700 ont été interpellés. 

En plus d’un grand nombre de blessés des deux côtés, les troubles ont fait un mort à Tebourba, une localité marginalisée située proche de la capitale. 

«On est oublié, pourtant on n’est qu’à 30 km de Tunis. Je ne trouve pas de travail sauf parfois dans les champs agricoles pour 10 dinars (4 dollars) la journée, ce qui est loin de subvenir à la nourriture de ma famille», soupire Hassene Oueslati, un quadragénaire. 

Si une accalmie relative et enregistrée depuis jeudi, des appels à la mobilisation dimanche, jour anniversaire de la révolution, sont lancés par des organisations non gouvernementales et des partis politiques, dont le Front populaire, une coalition de formations de gauche, qui jurent de continuer leur mouvement pour faire tomber la loi décriée.