Tunisie: affrontements nocturnes entre la police et des manifestants à Kasserine (centre-ouest)
-Les troubles font suite au décès d’un jeune journaliste qui s’est immolé par le feu pour se révolter contre sa condition sociale précaire
Des affrontements nocturnes ont opposé dans la nuit de lundi à mardi à Kasserine, les forces de l’ordre à des manifestants descendus dans la rue pour exprimer leur colère à la suite au décès d’un jeune journaliste-photographe après s’être immolé par le feu dans le centre de cette ville déshéritée du centre-ouest de la Tunisie.
Selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur Sofiane Zaâg, les manifestants ont jeté des pierres contre les unités d’intervention, fermé les routes en brûlant des pneus. Il a précisé que six agents de sécurité ont été blessés et plusieurs protestataires interpellés.
A Tunis le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a annoncé qu’il comptait organiser des mouvements de protestation et n’écarte pas une éventuelle grève générale dans le secteur des médias.
Dans un communiqué, il a tenu pour responsable l’Etat dans le décès du correspondant de Telvza TV, Abderrazak Zorgui..
Pour le SNJT, c’est l’Etat qui a contribué à “répandre la corruption et l’argent suspect dans le secteur des médias servant ainsi certains intérêts”.
Le Syndicat a averti les propriétaires de ces établissements, contre le non-respect du Code du travail et des droits financiers et sociaux des journalistes.
Lundi, un jeune journaliste-photographe a versé de l’essence sur son corps et y a mis le feu en signe de révolte contre sa condition sociale précaire et contre la marginalisation de sa région. Gravement brûlé, il a succombé à ses blessures quelques minutes après son transfert à l’hôpital de la ville, chef-lieu d’une région où les taux de pauvreté et de chômage dépassent de loin la moyenne nationale.
Dans une vidéo qui a circulé sur la toile, Abderrazak Zorgui, la trentaine, qui collabore avec une chaîne de télévision privée, sans grande audience, a expliqué les raisons qui l’ont poussé à se suicider par désespoir de cause
" Bonjour à tous les chômeurs. Merci de partager massivement le sujet dont je vais parler… Mon sujet d’aujourd’hui, c’est les chômeurs de Kasserine. Je dis bien les chômeurs, qui n’ont pas un gagne-pain, qui ne trouvent pas quoi manger”, a-t-il commencé son message.
Kasserine est une zone montagneuse située à la frontière algérienne. Des groupes de “terroristes”appartenant à des organisations ayant fait allégeance à Al Qaïda puis à Daesh sont retranchés dans ces reliefs difficiles d’accès et traqués depuis des années par l’armée. De nombreux attentats y sont régulièrement perpétrés qui ont causé la mort de dizaines de soldats et d’agents de sécurité, ainsi que des habitants qui résident aux alentours.
Selon Rezgui, le problème du terrorisme n’est qu’un prétexte. “Quand ils (les chômeurs) viennent ici protester, on les accuse de terrorisme. A chaque fois où une personne sort dans la rue pour revendiquer son droit à l’emploi, on invente une histoire de terrorisme. Ils cherchent à nous faire taire. Tais toi, restes à ta place et meurs de faim. En ce qui me concerne, j’ai décidé aujourd’hui de déclencher tout seul une révolution. Celui qui veut me soutenir il est le bienvenu. Je vais protester seul, je vais m’immoler par le feu et si une personne arrive à décrocher un emploi grâce à moi, j’en serai ravi, que Dieu lui vienne en aide. Ça suffit, 8 ans déjà”, depuis la révolution qui a fait chuter l’ancien régime dictatorial et qui avait pour credo “liberté et dignité”.
“Y’en a marre des promesses quotidiennes non tenues. Ce ne sont que des mensonges. Il y a des gens qui n’ont absolument rien du tout. Il y a des régions marginalisées appauvries. Aucun sou. Il y a des gens morts bien qu’ils soient vivants. Pour moi, je ne vais pas attendre. Il n y a pas de raison. Il me reste uniquement vingt minutes avant de me faire arroser d’essence et ensuite m’immoler. On ne sait jamais. Peut être que l’Etat va réagir et s’occuper de Kasserine. Cette région où les gens ne trouvent plus de quoi manger et meurent de faim. A tous les chômeurs de Kasserine, revendiquez votre droit, protestez, faites brûler les pneu. l’Etat ne veut pas les mouvements pacifiques. J’espère que mon message vous est parvenu”.
En décembre 2010, un vendeur ambulant de légumes et de fruits Mohamed Bouazizi, avait entrepris un acte similaire dans la région voisine de Sidi Bouzid, après la saisie de sa marchandise par la police municipale.
Son geste avait mis le feu dans le pays et causé la chute de l’ancien régime du président Ben Ali, un mouvement qui a fait tâche d’huile dans la région et précipité le renversement des régimes en place notamment en Egypte et en Libye.