« Hello !», « Good Morning !» Ces mots anglais qui auraient pu paraître étrange à proximité des écoles primaires en Algérie, commencent à devenir familiers. En l'espace de quelques jours, des bambins, maitrisant très peu l’arabe classique qu’ils commencent à apprendre dès le début de leur scolarité, s’essaient déjà à cette nouveauté. Et sans complexe aucun, ils tentent de montrer leur intérêt à la langue anglaise qui vient juste d’être introduite au primaire en Algérie. C’est le cas de Malik. H, 8 ans.
Pas plus haut que trois pommes, cet enfant habitant à la banlieue d’Alger se précipite, en ce mardi 11 octobre, pour rejoindre son établissement. Il est 7h30. La cloche devra sonner dans quinze minutes, donnant le signale aux écoliers de rentrer dans la cour de l’établissement pour saluer le drapeau national, avant de rejoindre leurs classes.
Sac à dos en bandoulière, vêtu d’un jean, d’un tee-shirt sous un tablier bleu, Malik précède de quelques mètres son père qui l’accompagne chaque matin à l’école. Nous les sollicitons pour avoir un avis sur la décision, prise quelques semaines avant la rentrée scolaire par le Président Abdelmadjid.
« Maaliche (il n’y a pas de souci) », nous répond Hacene, le père. Selon lui, « l’introduction de l’anglais était une surprise pour lui et sa famille ». « Nous savions déjà qu’en 3e année, notre enfant allait avoir une première langue étrangère, à savoir le français. Sa mère et moi, nous l’avons préparé en conséquence en lui apprenant l’alphabet. Mais, là il va se retrouver avec deux langues étrangères », nous déclare ce fonctionnaire de 50 ans.
- « Divorcer avec le Français, langue du colonisateur »
Mais Hacene n’est pas contrarié. « Au contraire, je vois que Malik s’intéresse à l’anglais. C’est une curiosité pour lui et j’espère qu’il continue ainsi», dit-il. Comme Malik, des milliers d'élèves à travers le territoire algérien ont entamé leur bonhomme de chemin sur les sentiers sinueux de la langue de Shakespeare. Hamid, un quadragénaire, se dit, quant à lui, inquiet.
"Certes, l'ouverture sur les langues étrangères est une nécessité dans le monde d'aujourd'hui. Mais, en Algérie, nous ne sommes pas habitués à l'anglais. Personnellement, je ne pourrais pas aider mon fils à faire ses devoirs en anglais, pour la simple raison que je ne la maîtrise pas", nous confie cet homme, rencontrer à l'entrée d'une école primaire à Alger-Centre.
De nombreux Algériens, pensant qu'avec l'anglais le pays accéderait inévitablement au développement, se réjouissent, en revanche, du "début de divorce avec la langue de l'ancien colonisateurs, le Français". "Si la France elle-même enseigne à ses enfants l'anglais, pourquoi nous, nous continueront à favoriser le Français?", s'interroge Mohamed, un jeune rencontré aussi à Alger-Centre.
Jusque là, l'anglais est enseigné à partir de la première année du collège. La décision de son introduction au primaire, au même titre que le français, a été annoncée par le Président Tebboune en août dernier. Pris de court, les services du ministère de l'éducation sont aussitôt mis en état d'alerte maximum. Il fallait être au rendez-vous à la rentrée, retardée d'une vingtaine de jours (la rentrée scolaire a eu lieu le 21 septembre, au lieu du 6 septembre).
- 5000 diplômés en anglais recrutés
La première contrainte était celle de la disponibilité des enseignants de cette matière pour couvrir les 20 000 écoles primaires du pays. Pour ce faire, le ministère de l'éducation a lancé un appel à candidatures, destiné aux diplômés en anglais et en interprétariat. Au final, l'opération a permis de recruter 5000 enseignants, sur 60 000 postulants, qui sont lancés aussitôt dans le bain.
La deuxième contrainte, concerne la confection des manuels nécessaires pour l'enseignement de cette matière. Le temps presse et l'opération est lourde. Et malgré les difficultés, avait assuré le ministre de l'éducation, Abdelhakim Belabed, le livre d'anglais destiné au classe de 3e, a été conçu et édité en un temps record.
L'expérience commence en tout cas officiellement. Quelle sera le résultat, dans les prochains années ? Pour le secrétaire général du syndicat autonome de travailleurs de l'éducation et de la formation (SATEF), Boualem Amoura, l'expérience commence avec des couacs.
"Commencer l'enseignement d'une langue à partir de la 3e année primaire ce n'est pas pédagogique ! D'abord, les enseignants doivent assurer des cours dans 03 à 04 écoles et dans certaines régions la distance entre deux écoles est de plus de 100 km. Donc l'enseignant n'arrive pas à assurer sa mission correctement", affirme l'enseignant syndicaliste, sollicité par AA.
Selon lui, le lancement de l'enseignement de l'anglais est fait dans "la précipitation et sans aucun respect des règles pédagogiques d'usage". Il cite, dans ce sens, le livre scolaire qui "a été élaboré avec précipitation et qui ne répond nullement au niveau d'un élève qui apprend pour la première fois la langue anglaise !".
"Les concepteurs du livre scolaire d'anglais ont utilisé la méthode globale au lieu de la méthode syllabique qui consiste à apprendre d'abord l'alphabet de la langue aux élèves. De plus, pour confectionner un programme scolaire, il faut au moins deux années et chez nous, il est élaboré en un temps record. Donc, il a été bâclé", critique Boualem Amoura, qui dénonce le recours à l'improvisation, y compris dans le recrutement des enseignants" sans aucune formation".