Présidentielle en Tunisie : Vers un scrutin propre...malgré les pressions (président de l'ISIE)
Le président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Nabil Baffoun, est revenu dans une interview à Anadolu sur les prochaines élections et les préparatifs déployés à cet effet.
La tâche de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) n'est décidément pas de toute aise. Difficile, en effet, de gérer, superviser et arbitrer une présidentielle (puis des législatives) dans un climat marqué par une ébullition d'événements inédits, d'accusations mutuelles, de positions et de leurs opposées, de déclarations où chacun suspecte l'autre, de scissions, de coalitions, de craintes et d'opacité...
Dans ce contexte, tout sauf serein, s'il est un homme qui doit patience, réserve et lucidité garder pour endiguer cette transe générale et trancher, le cas échéant, c'est bien Nabil Baffoun, le président de l'ISIE, qui a d'ores et déjà provoqué des grincements de dents et des sourires jaunes par ses décisions en droite ligne avec la Constitution, mais qui sont loin d'avoir fait l'unanimité. Nous en citons, à titre d'exemple, son refus de tenir compte des amendements de la loi électorale ou le report de la présidentielle pour après les législative.
Une manière claire de manifester la résistance de l'ISIE aux pressions, sa détermination à rester au dessus de la mêlée et son attachement à son indépendance (ce qui n'est pas toujours évident pour une institution élue) et au respect des textes de la Constitution.
Aussi est-ce par lui que nous ouvrons la mini-série d'entretiens avec des "présidentiables" aux chances réelles, que nous nous proposons de publier jusqu'à dimanche, date au-delà de laquelle les candidats n'ont plus le droit à la parole dans les médias non tunisiens.
Une manière de laisser des protagonistes mettre sous les projecteurs les enjeux de cette échéance qualifiée par tous de déterminante pour la phase transitoire que vit la Tunisie. Une occasion aussi de séparer, peut être, le bon grain de l'ivraie.
On ne peut décidément pas vous envier pour votre mission, tant le climat de cette pré-présidentielle a atteint l'ébullition, sinon le chaos...
Notre devoir, en tant que le membres d'une institution arbitrale, est de ne pas réagir à l'effervescence générale, de prendre les décisions adéquates, dans le calme, la sérénité et le respect des dispositions de la Constitution et de l'égalité des chances. Et puis n'oubliez pas que je fais partie de l'ISIE depuis sa création en 2011. Je peux donc dire que je suis aguerri.
C'est à ce titre que nous vous rappelons, justement, que vos prédécesseurs à la tête de l'ISIE, Kamel Jendoubi et Chafik Sarsar, ont déclaré que les élections de 2011 et de 2014 ont été entachées d'irrégularités qui n'ont pas été sanctionnées. Cela va-t-il changer en ce 2019?
Je le confirme volontiers, tout en précisant que le Bureau avait jugé, quasiment à l'unanimité, que ces infractions ne s'étaient pas élevées jusqu'à fausser les résultats de ces scrutins. Je préciserais aussi que nous avions sévi dans certains cas de «flagrant délit».
Quoi qu'il en soit, je peux vous dire que mes collègues et moi-même sommes décidés à faire preuve de plus de fermeté dans l'application de la loi, tant au niveau de la campagne que du scrutin lui-même, surtout en ce concerne le financement étranger, le dépassement du seuil légal et la manipulation des électeurs.
Les membres de l'ISIE ont été élus par le Parlement. Ils doivent, par conséquent, leur poste à la majorité. Vous seriez d'accord que cela n'assure pas à cent pour cent leur neutralité.
Au delà du fait que dans certains pays, les membres d'une telle instance sont carrément désignés, ce qui n'est pas démocratiques, je pense que la Tunisie a fait le meilleur choix possible. Cela ne veut toutefois pas dire que nous devons reconnaissance ou obédience à ceux qui nous ont élus.
D'ailleurs, nos décisions, prises souvent au vote, prouvent que nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d'onde.
Soyez sans crainte, nous sommes tous conscients de l'importance de notre tâche et nous voulons la mener à terme dans les règles de l'art et...de la loi. Et si l'une de nos mesures est suspectée d'injustice ou de partialité, il y a toujours la possibilité du recours régulateur du Tribunal administratif.
Personnellement, j'en suis à mon troisième et dernier mandat à l'ISIE et je tiens à sortir en beauté, la conscience en paix et avec le sentiment du devoir accompli.
N'y a-t-il pas des parti(e)s qui ont essayé de vous mettre la pression dessus pour infléchir vos décisions?
Là, je vous réponds sans hésitation : oui, beaucoup, de toutes parts et davantage qu'aux élections précédentes. Cela n'a fait que fortifier notre volonté de nous en tenir à la loi et à ce que nous jugeons le plus égalitaire possible pour tous.
Notre intransigeance quant au nouveau choix des dates des élections, imposé par le décès du président de la République, ainsi que l'imposition de l'ancienne loi électorale n'ont pas été, par exemple, du goût de nombreux concernés par le scrutin. Une autre preuve que nous sommes réellement indépendants.
Parlons des cas de Nabil Karoui qui est derrière les barreaux et de Slim Riahi, condamné et en fuite. Comment peuvent-ils rester en course à la présidence?
C'est la loi qui le veut et qui le stipule expressément. Rien n'est joué pour ces deux candidats qui demeurent présidentiables, tant que les affaires pour lesquelles ils sont poursuivis sont encore en cours et qu'un jugement définitif les incriminant n'a pas été prononcé.
Le chef du Gouvernement est lui aussi candidat à la présidentielle et certains le suspectent d'utiliser les moyens de l'Etat dans sa campagne. Que peut faire l'ISIE?
Notre instance traite tous les candidats sur le même pied d'égalité. Pour Youssef Chahed qui a délégué ses prérogatives de chef du Gouvernement à l'un de ses ministres, les résultats seraient néfastes s'il agissait de la sorte, non seulement auprès de l'opinion publique mais aussi vis à vis de l'ISIE qui commencerait par le mettre en garde avant avant de prendre des décisions qui peuvent aller jusqu'à la disqualification. Mais franchement, je ne crois pas qu'il le fasse. Ce n'est pas dans son intérêt.
Que répondriez-vous aux voix se sont élevées pour exprimer des craintes de falsification des résultats, le Centre national de l'Informatique (CNI) dépendant du ministre des Technologies qui est nahdhaoui.
Le CNI ne peut d'aucune façon intervenir dans la gestion des élections ou de leurs résultats. L'ISIE a sa propre base de données qu'elle actualise en sollicitant, quand cela est nécessaire, ce Centre pour savoir, à titre d'exemple, si tel citoyen ou tel autre est décédé ou interdit de vote. A part cela, il n'est d'aucune façon concerné par le scrutin, ni de près ni de loin.
Que dites-vous alors de ces nombreux inscrits sur les registres électoraux qui se sont révélés décédés?
Il y aura toujours un temps de flottement entre le moment de la mort d'un votant, la déclaration de son décès et l'effacement de son nom de la base des données. Cela dit et indépendamment de la trace de l'encre sur l'index qui empêche tout citoyen d'un double vote, qui prendrait le risque de frauder, alors qu'il encourt cinq ans de prison ferme? Croyez-moi, cela est quasi-impossible.
Optimiste, en somme, quant au déroulement de la campagne et de l'ensemble du scrutin?
Absolument. Nous mènerons notre mission à terme, dans la légalité, la transparence et l'égalité des chances. Malgré les tiraillements et les pressions, nous aurons des élections, présidentielle et législatives, propres