Les mines antipersonnel de Tripoli… Des armes à effet différé (Analyse)
Les mines antipersonnel sont classées comme crimes de guerre imprescriptibles. Y aura-t-il des sanctions pénales contre les milices de Haftar pour avoir implanté des explosifs dans les quartiers sud de Tripoli ?
Les milices sans aucune pitié du Général putschiste Khalifa Haftar, ne se sont retirées des quartiers sud de la capitale libyenne, Tripoli, qu’après avoir implanté un grand nombre de mines antipersonnel et piégé les maisons des déplacés.
Ceci signifie, certes, que les milices ne retourneront plus dans cette région mais qu’il s’agit d’une vengeance à long terme.
En seulement cinq jours, 21 personnes ont été tuées et 18 autres ont été blessées lors des opérations de déminage menées par l’armée libyenne, selon des médias locaux. Certaines victimes sont des citoyens libyens retournés à leurs maisons pour fêter l’Aïd al-Fitr avec leurs familles, après la libération de leurs quartiers de l’emprise des milices de Haftar.
Voici donc révélée la réalité de « la trêve » annoncée par Ahmed al-Mesmari, porte-parole des forces de Haftar, pour des « raisons humanitaires et à l’occasion de l’Aïd », selon ses dires.
Entre temps, les mercenaires et les alliés de Haftar étaient en train de « tisser les fils de la mort » dans les quartiers de Salaheddine, d’Ain Zara, de Machrou al-Hadba et autres.
Les autorités libyennes ont appelé les citoyens déplacés, qui possèdent des maisons dans les zones libérées de l’emprise des milices de Haftar, à être vigilants et à ne pas se précipiter pour retourner à leurs maisons afin de ne pas s’exposer au danger, jusqu’à l’élimination totale des explosifs.
L’Organisation des Nations Unies a, pour sa part, condamné « le recours aux engins explosifs » dans les quartiers sud de Tripoli, faisant « des mort et des blessés parmi les habitants de ces quartiers, pendant que les déplacés cherchaient un refuge sécurisé pour fêter l’Aïd ».
- Haftar suit le modèle de Daech
L’implantation des mines antipersonnel et des engins explosifs est une pratique de l’Organisation terroriste Daech, qui avait piégé la ville de Syrte (450 kilomètres à l’est de Tripoli), vers la fin de 2016, ce qui a entravé la prise de contrôle de la ville et fait des centaines de victimes, entre morts et blessés.
Le commandant dans l’armée libyenne, Taher Ben Gharbia avait indiqué la présence d’explosifs et de mines du même type que ceux placés par Daech à Syrte, ce qui laisse poser des questions sur le rapport entre la milice de Haftar et l’Organisation terroriste Daech.
Ben Gharbia a souligné, lors d’une interview avec la chaîne « Libya Panorama » (privée), que l’un des dirigeants de Daech (sans le nommer) a été tué dans la base aérienne d’al-Wattia (140 kilomètres au sud-ouest de Tripoli), libérée le 18 mai dernier de l’emprise des milices de Haftar.
Le minage de quartiers proches du Centre de Tripoli ont choqué les partisans de Haftar, dont certains peinent à croire que ceux qui prétendaient appartenir à « l’armée nationale » et vouloir libérer la capitale, ont quitté la ville laissant derrière eux des mines mortelles.
- Le démantèlement des mines nécessite un soutien international
Avec des moyens modestes, les ingénieurs de l’armée libyenne ont réussi à démanteler, en cinq jours, plus de 600 mines, dont 102 mines anti-char, 218 mines antipersonnel et 280 engins explosifs, selon la chaîne privée « Febrayer ».
Parmi les 21 victimes de ces engins explosifs, des éléments de l’ingénierie militaire ont été tués lors des opérations de déminage.
Cette opération nécessite donc un large soutien international et onusien au profit de l’armée libyenne, qui a besoin d’équipements modernes pour démanteler les mines tout en minimisant les dégâts humains au maximum.
Les guerres finissent un jour ou l'autre, mais les mines pourraient n'exploser qu’après des dizaines d’années, chose sur laquelle la mission onusienne pour la Libye a mis l’accent, dans son dernier communiqué.
« Ces actes n’ont pas d’objectifs militaires, ils terrorisent les habitants et violent les droits des civils innocents, qu’il faut protéger conformément au droit humain international.
- L’Algérie a continué à démanteler les mines de la France pendant 54 ans
La France avait implanté 8.8 millions de mines aux frontières de l’Algérie avec la Tunisie et le Maroc, entre 1956 et 1962, pour empêcher l’arrivée des armes aux résistants algériens.
Pendant des dizaines d’années après l’indépendance et le départ des Français, ces mines ont continué à tuer les Algériens, bien qu’elles n’aient plus d’utilité militaire.
Le nombre des victimes des champs de mines ont fait 2740 victimes, entre morts et blessés, sur la période s'étalant de 1962 à 2016, selon un rapport remis par les autorités algériennes à l’ONU, en 2019.
Le paradoxe est que Moscou, qui avait aidé l’Algérie après l’indépendance à éliminer les champs de mines, perdant deux soldats durant ces opérations de déminage, autorise aujourd’hui la société Wagner à placer des mines et aide les milices de Haftar à piéger les quartiers d’une capitale maghrébine, malgré le danger que cela représente pour les civils, même des années plus tard.
- 56 ans pour convaincre l’Italie d’indemniser les Libyens
Les mines, vu les dégâts humains et matériels qu’elles entraînent et étant des armes à « effet différé », sont classées comme crimes de guerres, appelant des poursuites pénales et une indemnisation matérielle et morale.
La Libye a déjà vécu cette expérience et est parvenue, en 1998, après de longues négociations, à un accord avec l’Italie, entré en vigueur en 2009. Il porte sur « l’indemnisation matérielle et morale contre les dégâts causés au peuple libyen par les mines placées sur le territoire libyen, lors de la deuxième guerre mondiale (1939-1945) et de la période coloniale (1911-1942).
L’ancien Chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, avait annoncé, lors de sa visite en Libye en 2008, que Rome paiera à Tripoli 5 milliards de dollars sur les 25 ans qui suivent, comme indemnisation contre la période coloniale.
Haftar et ses alliés sont-ils conscients du danger de l’usage des mines dans une grande agglomération résidentielle comme Tripoli, non seulement sur le plan humanitaire mais aussi pénal, et que ces engins sont des armes à « effet différé » ?