Hiroshima : il y a 77 ans, l’apocalypse

Ce jour-là, il y avait environ 344.000 personnes qui vivaient dans la ville japonaise d’Hiroshima. C’était une journée ordinaire qui commençait. Le soleil s’était déjà levé sur le pays du Soleil levant, encore en guerre contre les Alliés après la reddition de l’Allemagne.

Hiroshima : il y a 77 ans, l’apocalypse

Les uns prenaient leur petit déjeuner, les autres dormaient encore, beaucoup étaient sur leur lieu de travail, à l’exemple des 4000 ouvriers des chantiers navals de Mitsubishi dans le port d’Ujina qui faisaient la fierté d’Hiroshima.

Le quotidien de la ville, le Shigoku Shimbun, daté du 6 août 1945, paraissait normalement. Rien ne laissait prévoir une quelconque apocalypse, pourtant imminente ce matin-là.

L’activité n’était ni plus ni moins fébrile dans un pays au bout du rouleau et au bord de l’étouffement après des années de folie guerrière.

A Hiroshima, ville miraculeusement intacte tout au long de la guerre, bien qu’elle abritât une importante base militaire, chacun vaquait encore normalement à ses activités en ce 6 août 1945 à 8H14 du matin. A 8H15, la vie d’Hiroshima bascule.

En s’élevant du point d’impact vers l’horizon, le champignon libérait une force destructrice inconnue jusqu’alors. En quelques secondes, les 344.000 habitants se divisèrent en deux groupes distincts : le premier groupe, mort instantanément sans savoir ni comment ni pourquoi ; le second, les survivants, que les Japonais appellent les Hibakusha, inauguraient une nouvelle forme de souffrance humaine, celle qu’engendraient les brûlures et l’irradiation atomiques.

Le largage de ‘’Little boy’’ (nom de code de la bombe) par le B-29 que pilotait le colonel Paul Tibbet provoqua un flash qui détruisit la ville et sema le chaos. Les survivants encore capables de se déplacer s'organisaient pour porter secours aux victimes. Ce qu'ils découvraient à mesure que le temps passe était cauchemardesque. « La ville ressemblait à un immense champ de ruine d'où surgissaient des cris de désespoir, des êtres sanguinolents, déchiquetés, la peau en lambeaux qui pend sur leur corps devenu une immense plaie vive. Tous sont abasourdis par l'intensité du bombardement qu'ils venaient de subir. »

Ces horreurs avaient été relatées un an plus tard, en août 1946, par le journaliste américain John Hersey qui avait recueilli les témoignages de survivants. Il rédigea un très long article de 30.000 mots publié dans le Magazine ‘’The New Yorker’’. C’est à travers cet article que les Américains apprirent les conséquences terrifiantes de la décision du président Harry Truman de recourir à « l’arme absolue ».

Hiroshima abrite aujourd’hui un immense ensemble commémoratif qui s’étend sur 12 hectares avec un musée et un cénotaphe où sont entreposés les volumes comportant les noms des centaines de milliers de victimes du feu atomique laborieusement recensées.

Les murs du musée sont tapissés par d’immenses photos en noir et blanc. Des photos de fin du monde : champignons géants, paysages lunaires, hommes, femmes et enfants, écorchés vifs, transformés en torches vivantes couraient dans tous les sens, avec des lambeaux de chair pendant horriblement. Des images choquantes, consternantes. Mais l’un des buts du musée ne consiste-t-il pas à choquer le visiteur et le transformer en défenseur acharné de la paix dans le monde ?

Pourquoi les Américains avaient-ils choisi Hiroshima et pas Tokyo ou Nagoya par exemple? Cette question a été posée par l’auteur de ces lignes lors d’une visite à Hiroshima en 2003 au guide Masayuki. Son explication était parfaitement convaincante. « Hiroshima, expliquait Masayki, avait été pendant longtemps une ville guerrière. Déjà, en 1894, lors de la première guerre sino-japonaise, l’armée nipponne utilisait le port d’Ujina dans la baie d’Hiroshima pour partir à l’attaque. Le même port était utilisé lors de la guerre russo-japonaise de 1904, en 1917-18 lors de l’intervention nipponne à côté des Américains contre les Bolcheviks. Sans parler des campagnes de conquête contre les pays d’Asie qui partaient elles aussi du port d’Ujina. Et au cours de la 2e guerre mondiale, non seulement l’armée utilisait le port d’Ujina, mais les industries civiles d’Hiroshima furent transformées en industries militaires. Donc, en larguant leur bombe sur Hiroshima, les Américains voulaient punir une ville qui avait joué un rôle central dans plusieurs guerres. Mais il y a une autre raison tout aussi importante : Hiroshima était intacte et n’avait subi pratiquement aucun dommage pendant les années de guerre. Pour les Américains, elle constituait sans doute la ville idéale qui leur permettrait de mesurer grandeur nature les effets dévastateurs de leur nouvelle bombe. » (Propos publiés dans ‘’La Presse de Tunisie’’ du 11 octobre 2003).

Malgré les critiques qui fusaient de toutes parts de l’utilisation « inutile » de la bombe atomique, les Américains maintiennent, 77 ans après, le même discours : « la bombe était nécessaire pour faire plier le Japon et sauver des milliers de vies de soldats américains en cas de débarquement. »

Le président Dwight Eisenhower n’était pas de cet avis. Dans ses mémoires ‘’The White House Years’’, il écrivait notamment : « En 1945, le secrétaire de la guerre Stimson, alors en visite dans mon quartier général en Allemagne, m'informa que notre gouvernement était en train de préparer le largage d'une bombe atomique sur le Japon. J'étais de ceux qui avaient le sentiment qu'il devait y avoir un certain nombre de raisons valables pour mettre en doute la sagesse d'un tel acte. Durant son exposition des faits importants, je fus empli d'un sentiment de tristesse et fis part de mon profond désaccord, tout d'abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu et que le bombardement était complètement inutile, ensuite parce que je pensais que notre pays ne devait pas choquer l'opinion mondiale par l'utilisation d'une bombe que je ne pensais pas nécessaire pour sauver la vie des Américains. »

En 2016, le président Barack Obama créa l’événement en décidant de visiter Hiroshima. Il était le seul président en exercice à avoir pris une telle décision. Mais avant même qu’il n’arrivait au Japon, la Maison blanche répondit d’avance à d’éventuelles demandes

d’excuses du peuple américain au peuple japonais : « Il n’était pas question que les Etats-Unis présentent des excuses pour ces décisions de temps de guerre », lit-on dans un communiqué de la Maison blanche à l’occasion de cette visite.

A une question sur la responsabilité historique des Américains sur le calvaire biblique vécu par les habitants d’Hiroshima, Obama botta en touche : « C’est le rôle des historiens de poser des questions et de les examiner », se contenta-t-il de dire, avant de poursuivre sa visite guidée du musée de la paix.

Mais qu’en pensent les historiens japonais ? L’un d’eux, Yuki Tanaka, affirma au journal ‘’Le Monde’’ : « Si le président Obama s’excusait, il faudrait que le Premier ministre Japonais en fasse autant pour les exactions de l’armée impériale. Alors, tout le monde préfère oublier les responsabilités. »

Dans un article intitulé « Hiroshima ou la mémoire déverrouillée » publié dans le journal ‘’Le monde’’ le 25 mars 1945, le journaliste Michel Tatu rapporte ces propos du professeur japonais Saika San : « Les citoyens d’Hiroshima ne ruminent pas le passé, ils cherchent ; ils cherchent une lumière pour l’avenir. Si leurs efforts réussissent à illuminer le futur des êtres humains, le sacrifice des victimes n’aura pas été vain. ».

*Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.