France: La visibilité des Musulmans au cœur des tensions (entretien)
L'Islam est un sujet très vendeur dans l'hexagone, tant politiquement que médiatiquement. La France est régulièrement le théâtre de polémiques virulentes dès lors qu'il s'agit de débattre de la condition des Musulmans dans le pays. Entre les interdictions de porter des burkinis à la plage en 2016, la loi de 2004 contre le voile à l'école, ou encore le texte de loi adopté en janvier 2018 et interdisant les signes religieux à l'Assemblée Nationale, les illustrations ne manquent pas.
Ce sont en réalité deux visions de la laïcité qui s'affrontent avec d'un côté ceux qui sont attachés à une laïcité de liberté à l'image de Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, respectivement président et rapporteur de l'observatoire de la laïcité, et d'un autre côté, les partisans d'une interprétation restrictive de la loi de 1905 à l'image du Printemps Républicain.
Né le 20 mars 2016, le Printemps Républicain est aujourd'hui présidé par Amine El Khatmi, ancien adjoint socialiste au maire d'Avignon (sud-est) et auteur d'un ouvrage qui veut dénoncer les "compromis inacceptables" entre les élus de gauche et les communautés musulmanes.
Philippe Marlière est un politologue de gauche, parallèlement professeur de sciences politiques à l'Univeristy College de Londres. Il a accordé un entretien à Anadolu pour aborder la laïcité et les tensions que provoque la visibilité des communautés musulmanes en France.
Début février, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé dans le Journal du Dimanche, vouloir "poser les jalons de toute l'organisation de l'Islam de France".
Ahmet Ogras, franco-turc à la tête du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) avait fait savoir à Anadolu que l'instance qu'il préside n'avait jamais été intégrée à la réflexion menée par l'Elysée à ce sujet.
Pour Philippe Marlière, "si les communautés musulmanes n'ont pas été consultées, la position d'Emmanuel Macron est extrêmement contestable". Il rappelle par ailleurs, que "le CFCM a été créé par le gouvernement, posant un certain nombre de problèmes notamment sur la légitimité de l'Etat à s'immiscer dans le culte musulman" et que "la démarche de Macron traduit une volonté d'imposer un modèle préconçu".
Le politologue se pose la question "de savoir ce que veut Emmanuel Macron". En effet, Philippe Marlière estime que le président est "très ambigu", "on l'attendait dans un créneau très apaisant et finalement il n'est pas clair sur sa position concernant la laïcité et il a laissé Manuel Valls mener une surenchère anti-islam sans jamais se positionner".
Effectivement les prises de positions de l'ex-premier ministre redevenu député de l'Essonne, ne passent pas inaperçues. Il occupe une grande partie de l'espace médiatique dédié au thème de la laïcité.
Et à ce sujet, Philippe Marlière estime que "tant que le gouvernement ne prendra pas de position claire, il permet à des groupes tels que le Printemps Républicain de prendre des positions fortes".
La principale question qui se pose à travers de ses affrontements idéologiques sur la laïcité reste de savoir si l'une des interprétations est plus légitime que l'autre. Marlière précise à ce sujet que "ceux qui veulent une interprétation anti-islam de la laïcité veulent en réalité changer la loi parce qu'elle n'est pas de leur côté". Il cite, pour illustrer son propos, la loi votée fin janvier et qui interdit les signes religieux à l'assemblée Nationale. A ce sujet, il "pense que l'Etat pourrait accoucher d'un texte de loi contraignant et réduisant l'expression et la visibilité des communautés musulmanes dans l'espace public".
"Je crois que la volonté du gouvernement est de réorganiser l'Islam dans son expression publique" explique le professeur de sciences politiques. Pour lui, "certains veulent éradiquer les religions de l'espace public mais en réalité la seule religion qui les dérange c'est l'Islam". Si l'un des marqueurs les plus visibles de l'Islam reste le port du voile, il faut reconnaître que c'est bien lui qui est visé au travers de nombreuses polémiques dont la première reste "l'affaire du foulard de Creil" où trois élèves avaient été exclues de leur collège à cause de leur voile en 1989.
"Un État et des individus qui prétendent “émanciper” des femmes contre leur gré, adoptent en réalité une position condescendante et autoritaire" tranche Philippe Marlière avant de mettre en garde sur les conséquences d'une intrusion de l'Etat dans le choix des femmes car "en sommant la musulmane “déviante” de retirer son hijab, on insiste sur son altérité de musulmane et on la rejette comme corps étranger à la nation".