Décès de Gorbatchev : émotion en Occident, indifférence en Russie

Pourquoi l’annonce du décès de Mikhaïl Gorbatchev a-t-elle suscité émotions et éloges en Occident et réactions sobres qui s’apparentent à l’indifférence en Russie ? Eléments de réponse.

Décès de Gorbatchev : émotion en Occident, indifférence en Russie

Mikhaïl Gorbatchev, l’ultime dirigeant de l’URSS et le dernier membre de l’ancienne Nomenklatura soviétique est décédé le mardi 30 août à l’âge de 91 ans.

Né dans le village de Privolnoye, dans le sud-ouest de la Russie, Gorbatchev a grandi en communiste engagé. Après avoir obtenu un diplôme en droit de l'Université d'État de Moscou en 1955, il a gravi les échelons du Parti communiste et a accédé à son poste le plus élevé - secrétaire général - en mars 1985.

Les hommages, après sa mort, ont été nettement plus nombreux et beaucoup plus appuyés en Occident que dans son pays, la Russie. Certes, le Kremlin a diffusé un communiqué dans lequel il a salué « un homme qui a eu une grande influence dans l’Histoire du monde », mais Gorbatchev n’aura pas d’obsèques officielles et sera inhumé comme un citoyen ordinaire et non comme quelqu’un qui a eu « une grande influence dans le monde ».

En Occident, en revanche, les dirigeants européens et américains rivalisaient d’émotions et d’éloges. C’est à qui tresse le meilleur laurier pour « l’homme qui a changé le cours de l’Histoire ». De Joseph Biden à Emmanuel Macron en passant par Boris Johnson et les hauts responsables de l’UE à Bruxelles, tous ont dit tout le bien qu’ils pensaient du défunt.

La question qui se pose ici est la suivante : pourquoi l’annonce du décès de Mikhaïl Gorbatchev a-t-elle suscité émotions et éloges en Occident et réactions sobres qui s’apparentent à l’indifférence en Russie ?

La réponse est que le rôle joué par Gorbatchev durant les six ans (1985-1991) passés à la tête de l’URSS a été extrêmement positif pour l’Occident en général et les Etats-Unis en particulier, mais désastreusement négatif pour les Russes qui, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, ont sombré dans la pauvreté, la misère et l’instabilité politique.

L’intention au départ était bonne. En lançant la Pérestroïka (restructuration économique) et la glasnost (transparence politique), Gorbatchev était sans doute à mille lieux de penser qu’il allait déclencher une dynamique irréversible qui finira par provoquer le démantèlement des entreprises d’Etat, colonne vertébrale de l’économie soviétique et principale source de

financement de l’Etat. Il ne put empêcher que les entreprises d’Etat tombent dans l’escarcelle des requins de la finance internationale.

L’Etat soviétique sous Gorbatchev perdait progressivement ses sources de financement, devenant de moins en moins capable de payer les salaires des millions d’ouvriers, de fonctionnaires, d’ingénieurs, de médecins qui se retrouvaient au chômage et sombraient dans la misère. L’effondrement de l’empire soviétique dirigé par Gorbatchev n’était qu’une question de temps. Ceci sur le plan intérieur.

Sur le plan extérieur, la politique étrangère de Gorbatchev était tout aussi désastreuse pour les intérêts de l’URSS, mais extrêmement bénéfique pour l’Occident. Il a accepté le démantèlement du Pacte de Varsovie et du mur de Berlin ; il a donné son accord à l’unification de l’Allemagne ; il a voté au Conseil de sécurité l’usage de la force contre l’Irak, un allié de l’URSS, permettant à Bush père de déclencher la première guerre contre le régime de Saddam Hussein. Autant de concessions qui valent de l’or pour l’Occident, mais Gorbatchev les a faites gratuitement. Ou plutôt contre une promesse verbale faite par Bush père que l’OTAN n’avancera pas d’un centimètre en direction de l’Est. On sait ce qu’il en est aujourd’hui : le non-respect de cette promesse verbale est la cause directe de la désastreuse guerre d’Ukraine…

Quoi de plus normal dès lors que l’annonce du décès du « père de la Pérestroïka et de la glasnost » et « démolisseur de l’URSS » soit reçue avec ferveur et émotions en Occident et sobriété ou indifférence dans sa propre patrie ?

On est en droit de se demander ici si les louanges exprimées unanimement par les dirigeants occidentaux ne cachent pas une certaine dose d’hypocrisie ? Si leur ferveur et leur émotion ne relève pas plus de l’artifice que des sentiments réellement ressentis ?

Les années 1990 et 1991 étaient particulièrement difficiles sur les plans économique et financier pas seulement pour les citoyens soviétiques, mais aussi pour les dirigeants de l’empire vacillant. Gorbatchev décida alors de se rendre à Londres en juillet 1991 où se tenait la réunion du G7. Objet de la visite ? Demander de toute urgence une aide financière. Refus net des riches de la planète. Il n’aura pas un sou.

Pourtant les dirigeants du G7 l’avaient en grande sympathie. Mais comme il avait dilapidé tous ses atouts, comme il avait fait gratuitement toutes les concessions dont Washington, Londres, Paris et Berlin avaient besoin, il rentrera bredouille à Moscou.

Dans un article publié le 31 août dans le journal en ligne « Counterpuch.com », Jeffrey Sommers, professeur d’économie politique à l’université de Wisconsin-Milwaukee, écrit : « Si Gorbatchev avait demandé l’argent plus tôt en échange de la sortie de ses troupes du Pacte de Varsovie, il aurait reçu une aide financière massive. Il a commencé à négocier trop tard pour obtenir de l’argent et des garanties de sécurité sur l’OTAN, et il a démantelé trop tôt la banque centrale et les entreprises d’Etat qui finançaient son gouvernement. »

Juste quelques jours après la rebuffade du G7, Gorbatchev fit face à une tentative de coup d’Etat. Le19 août 1991 au petit matin, un groupe se faisant appeler « le Comité d’État pour l’état d’urgence » tenta de prendre le pouvoir. Mikhaïl Gorbatchev était en vacances en Crimée. Une délégation du Comité lui fut dépêchée. Elle le pria de signer la proclamation de l’état d’urgence. En d’autres termes, il lui était demandé d’accepter le coup de force. Il refusa. On lui coupa toutes les communications avec l’extérieur.

C’est alors que Boris Eltsine, fraichement élu au suffrage universel président de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), prenait la tête des forces hostiles au Comité et envoya des chars dans le centre de Moscou.

Peu de temps après la tentative avortée du coup d’Etat, Gorbatchev démissionne et Eltsine le remplace. Celui-ci ne tarda pas à donner le coup de grâce à une URSS dans un état comatique. Se trouvant unique superpuissance, les Etats-Unis imposèrent un système unipolaire téléguidé depuis Washington, et Francis Fukuyama, allant un peu vite en besogne, nous annonça « la fin de l’Histoire ».

Dans un éditorial publié dans le site iris-France.org, le politologue français Pascal Boniface écrit : « Dans la dernière partie du XXe siècle, deux hommes ont marqué de façon majeure et positive l’histoire du monde : Mandela et Gorbatchev. Mandela est unanimement respecté, Gorbatchev l’est moins. Or sa contribution pour la paix a certainement été plus importante encore que celle de l’ancien leader sud-africain : il a mis fin à un système injuste et à la division du monde. Mais de cette division du monde n’est pas né le nouvel ordre mondial, que les États-Unis ont célébré tout en faisant tout pour qu’il ne soit pas mis en place ».

*Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

**Hmida Ben Romdhane, journaliste, ancien rédacteur en chef et PDG du journal La Presse de Tunisie.