Burundi-Référendum : Une campagne qui en cache une autre ?
- En prélude au référendum sur la nouvelle constitution fixé pour le mois de mai 2018, le gouvernement burundais ainsi que d’autres acteurs politiques sont entrés depuis le 4 janvier en campagne d’explication du projet du nouveau texte.
En prélude au référendum sur la nouvelle constitution fixé pour le mois de mai 2018, le gouvernement burundais ainsi que d’autres acteurs politiques sont entrés depuis le 4 janvier en campagne d’explication du projet du nouveau texte.
Toutefois, cette campagne d’explication a rapidement tourné en consignes de vote. Le gouvernement tout comme l’opposition ne se sont pas privés de recommander à leurs partisans de voter «oui» ou «non», malgré les textes de loi et les objections de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), selon des propos recueillis par Anadolu.
Selon l’article 25 du code électoral, la campagne référendaire est ouverte par décret présidentiel le seizième jour précédant le scrutin. Cette campagne se poursuit jusqu’à 48 heures avant le jour du vote, ce qui sous-entend une campagne d’une durée de 14 jours.
Cela signifie aussi que les pro-régimes et les opposants, partis depuis le 4 janvier en campagne précoce, sont tous deux en infraction de la loi, quand ils profitent des meetings d’explication pour donner des consignes de vote.
C’est ce que défend, du moins, maître Donatien Niyonsaba, expert en droit constitutionnel. Il indique que l’article 219 du code électoral est clair : «Toute propagande électorale en dehors de la durée légale de la campagne électorale est passible d’une amende de 457 dollars américains à 2285 dollars américains».
Selon lui, pour les élections organisées sur le plan national dont le référendum, la Ceni est compétente pour prononcer les sanctions.
Cependant, d’après le déroulement des faits sur le terrain, il ressort un flagrant déséquilibre en faveur du régime en place, dont les partisans ne cachent guère leur engagement en campagne précoce, défiant aussi bien les textes que la Ceni.
«J’appelle la population à voter ‘’oui’’ le jour du référendum », a déclaré Térence Ntahiraja, porte-parole du ministère de l’Intérieur, lors d’une récente séance d’explication dudit projet de révision, tenue à Rumonge, au sud du pays.
Approché par Anadolu, début de cette semaine, il a soutenu que «seul le gouvernement a le droit, avant tous les autres, d’enseigner à la population toutes les modifications, les ajouts, etc».
«Car, il est l’initiateur de ce projet en se référant aux clauses du dialogue interne conduit par la commission nationale du dialogue interne (Cndi) », a-t-il justifié, indiquant que c’est maintenant, l’occasion de faire le feedback et d’inviter la population à voter ‘’oui’’.
Dans le même contexte, quelques jours avant, lors d’une séance d’explication du contenu de ce projet à l’intention des citadins, Édouard Nduwimana, ombudsman burundais et pro-régime, a publiquement déclaré que : «La Constitution soumise au referendum vient consacrer ma démocratie. J’appelle tout en chacun à voter ''oui'' le moment venu.»
Face à cette déferlante gouvernementale prônant un «oui» massif, la réaction de l’opposition ne s’est pas faite attendre, appelant chacun de leurs militants à voter «non», sans équivoque.
«L’actuelle constitution est issue de l’accord de paix d’Arusha qui a mis fin à dix ans de guerre civile. Rien ne justifie sa révision dans le contexte actuel de crise, nous demandons à nos militants de voter ‘’non’’», a déclaré à Anadolu le député indépendant Agathon Rwasa, un des leaders de l’opposition burundaise et président de l’aile du parti Front national de libération (FNL) non reconnue par le pouvoir.
La Ceni elle-même, a refusé cet engagement prématuré aussi bien en faveur du «oui» que du «non».
«La campagne du «oui» et du «non» n'est pas encore arrivée. Elle interviendra quatorze jours avant le scrutin», a réagi Prosper Ntahorwamiye, son porte-parole, approché par Anadolu, évoquant une campagne prématurée.
Pour lui, les activités actuelles sont uniquement consacrées à l'explication du nouveau projet de révision et sont menées exclusivement par les membres du gouvernement.
Néanmoins, Ntahorwamiye reconnaît que cette commission n’est pas compétente pour empêcher le gouvernement de battre campagne pour le ‘’Oui’’.
Dans ce bouillonnement, les autorités ne se sont pas arrêtées à ce stade. Ils sont partis à la traque des opposants appelant à voter «non», lors de la campagne d’explication.
Contacté par Anadolu, l’assistant du ministre de l’Intérieur et de la formation patriotique, Thérence Ntahiraja, a déclaré que seul le gouvernement a, aujourd’hui, la latitude d’appeler à voter «oui».
«La révision de la constitution est une initiative du gouvernement, ce dernier peut profiter de cette campagne d’explication de la version modifiée de la constitution pour appeler à voter pour», a-t-il déclaré à Anadolu.
«Les partis politiques de l’opposition expliquent seulement les articles modifiés, ils attendront la campagne pour le référendum pour donner des consignes de vote à leurs militants», a encore ajouté l’assistant du ministre de l’Intérieur.
Pour faire barrage aux opposants en campagne contre la révision de la constitution, les autorités ont ordonné leur arrestation.
Une vingtaine d’entre eux ont déjà été arrêtés. «Nous avons des militants qui ont été arrêtés, accusés d’avoir enseigné le rejet de la constitution », a confié à Anadolu Pierre Célestin Ndikumana, président du groupe parlementaire d'opposition Amizero y'Abarundi.
Il a dénoncé, à cet effet, des «arrestations arbitraires».
L’opposition dénonce également un forcing du président en place Pierre Nkurunziza, qui a engagé le pays dans un processus de révision de la constitution sans attendre les résultats du dialogue extérieur jugé plus indépendant et conduit par la Communauté est-africaine (CAE) sous l’égide du facilitateur Benjamin Mkapa.
Cela étant, la Ceni a déjà appelé les burundais, depuis le mois de décembre à participer au référendum sur la révision de la constitution qui se tiendra en mai 2018.
Une fois validée, cette nouvelle constitution remplacera celle de 2005, post-transition, qui limitait à deux les mandats présidentiels de cinq ans chacun.
Selon un politologue approché par Anadolu, la nouvelle constitution prévoit un mandat de sept ans, renouvelable une fois, au lieu de cinq ans. Et l’actuel président qui compte remettre son compteur à zéro, pourrait rester président jusqu’en 2034 et même au-delà.
«Cela qui permet au président Nkurunziza de se porter candidat aux présidentielles de 2020 et de 2027», analyse-t-il, ajoutant qu’avec l’interdiction de briguer plus de deux mandats successifs, le président actuel a, cependant, la possibilité de se porter candidat plus tard, comme en 2034.
Le Burundi traverse une crise politico-sécuritaire depuis avril 2015, date de l’officialisation du 3ème mandat de Pierre Nkurunziza, contesté par l’opposition, la société civile et une partie de son propre camp.
Les violences générée par cette crise ont déjà fait plus d'un millier de morts et poussé plus de 420.000 personnes à fuir le pays, selon un rapport de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) publié le 27 décembre 2017.