Burundi : les lacs de la peur au nord du pays
Des disparitions, des assassinats et des kidnappings, voilà de quoi est fait le quotidien des pêcheurs burundais sur les lacs situés dans le nord entre le Burundi et le Rwanda, à savoir, les lacs Cohoha, Rwihinda et Rweru.
Les faits les plus récents datent de la dernière semaine du mois de novembre où six personnes ont été kidnappées par des hommes en uniformes rwandais sur le lac Rweru, commune Giteranyi, province Muyinga, à plus de 250 km de Bujumbura.
Alors que deux pêcheurs ont pu s’échapper, quatre ont été emmenés sur le sol rwandais. «On était parti très tôt le matin faire de la pêche. Et il y avait trop de brouillard sur le lac», raconte Egide Ndayishimiye, un de ces pêcheurs kidnappés, puis relâchés.
‘’Soudain, poursuit son récit, nous avons entendu un bruit d’un moteur s’approcher de nous’’. Ils se sont alors retrouvés encerclés par des militaires rwandais et qu’ils les ont, par après, contraints de les suivre vers les rives rwandaises.
Là, ces pêcheurs affirment y avoir passé des moments durs: «Ils nous ont accusé d’avoir entré dans les eaux rwandaises alors que nous étions du côté burundais».
D’après Joseph Kweraguhiga, un autre pêcheur, ces militaires les ont sérieusement bastonnés, dépouillés de leur agent et vêtements, puis donné l’ordre de détruire leurs quatre pirogues.
«C’est après des heures sous torture que, par chance, des hauts cadres de l’armée rwandaise ont eu écho de notre enlèvement et sont venus s’enquérir de la situation», glisse-t- il, ajoutant qu’après vérification, ces derniers se sont rendus compte que ces quatre burundais étaient dans la partie burundaise.
Sans pirogues pour traverser le lac, ils ont été libérés et ont été condamnés à marcher à pied jusqu’au point d’entrée et de sortie de Gasenyi, dans la province Kirundo, frontalière commune également avec le Rwanda.
Un choc pour eux. M. Kweraguhiga, par exemple, affirme que chacune des pirogues était d'une valeur équivalente à 57 dollars.
Désœuvré, il souligne qu’aujourd’hui, il peine à nourrir sa grande progéniture de 14 enfants. «Et même si ma pirogue n’aurait pas été détruite, j’ai peur de m’aventurer encore dans ce lac», dit-il, notant que cette dégradation sécuritaire sur ces lacs est l'une des conséquences des relations tendues entre Kigali et Bujumbura.
Une idée soutenue par l’administration qui y voit déjà une provocation de la part des militaires rwandais.
Dans ces lacs, pas de bornes ou d’autres indications physiques pour montrer les limites d’un pays ou de l’autre. Et pire encore, la rivière Akagera, en provenance du Rwanda a quitté son lit majeur et se déverse actuellement dans le lac Rweru.
A Bugabira, province Kirundo, au bord du lac Cohoha, la situation est identique.
«Avant cette crise, nous pouvions aller pêcher du côté rwandais sans problèmes. Mais aujourd’hui, nous avons même peur d’entrer dans nos eaux», glisse Thomas, un pêcheur, précisant que depuis 2016, au moins cinq pêcheurs ont été tués par des éléments rwandais. Et un certain Nestor, pêcheur, porté disparu, il y a plus de trois mois, insère ce père de famille, rappelant qu’avant cette crise, les échanges étaient très fluctueux via ces lacs.
Ce qui se répercute sur le marché. «Le prix du poisson a presque triplé, parce qu’avant, des rwandais venaient vendre leur production chez nous», déplore-t- il.
De son côté, Mme Marie Claudine Hashazinka, administrateur de la commune Busoni, ayant accès sur le lac Rweru, la première réaction des militaires rwandais ne devrait pas être de tirer sur les Burundais.
Les relations entre le Burundi et le Rwanda n’ont pas cessé de se détériorer depuis 2015. Bujumbura accuse Kigali d’héberger les putschistes du 13 mai 2015, et d’entretenir des groupes rebelles pour attaquer Bujumbura.
Ce que cette dernière a toujours refusé le chargeant à son tour de collaborer avec les Interahamwe, la milice du parti MRND (National Republican Movement for democracy and development) de feu Juvénal Habyarimana, accusée d’avoir été active dans le génocide des Tutsi en 1994.