Ben Ali: du pouvoir à l'exil en passant par la révolution (portrait)
L’ancien président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, en exil en Arabie Saoudite depuis la révolution de 2011, est décédé, jeudi, à l’âge de 83 ans.
L’ancien président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, en exil en Arabie Saoudite depuis la révolution de 2011, est décédé à l’âge de 83 ans dans un hôpital saoudien, a affirmé jeudi son avocat Mounir Ben Salha.
Ben Ali est arrivé au pouvoir en Tunisie le 7 novembre 1987 en écartant son prédécesseur Habib Bourguiba. La révolution de 2011, déclenchée par l’acte désespéré d’un simple marchand de légumes ambulant, l’a obligé à céder le pouvoir après un large mouvement de contestation populaire et à s’exiler à Djeddah en Arabie Saoudite avec plusieurs membres de sa famille.
---Un homme de l’Ordre---
Au moment d’accéder au pouvoir en 1987, Ben Ali était connu par la majorité des Tunisiens. Il a, en effet, surpris l’opinion publique nationale et la sphère politique tunisienne, quelques années auparavant, avec sa fulgurante ascension des échelons du pouvoir en Tunisie. Il a été nommé au poste de Premier ministre en octobre 1987, un mois avant le renversement qu’il a orchestré contre Bourguiba.
La Tunisie a connu à l’époque des contestations populaires menées par les islamistes du mouvement de "l’orientation islamiste" (actuellement Ennahdha), entamées à l’hiver de 1987 au sein des enceintes universitaires et qui se sont répandues par la suite dans l’ensemble du territoire tunisien.
Le 28 avril 1986, il a été nommé au poste de ministre de l’Intérieur avant de faire partie des cadres du parti socialiste destourien (constitutionnel) qui était le parti du pouvoir en Tunisie. En mai 1987 il a été promu en tant que ministre d’Etat chargé des de l’Intérieur, illustrant ainsi, l’importance pour Bourguiba, des forces de l’ordre dans la répression de ses opposants islamistes.
Une promotion sous forme de récompense pour ses actions contre la révolte de l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) de 1978 qui a fait des dizaines de morts, alors qu’il était directeur de la sécurité nationale.
---L’aube d’une démocratie ? ---
Ben Ali a accédé au pouvoir suite à l’annonce de la part de 7 spécialistes médicaux de l’incapacité de Bourguiba à exercer. Un accès au pouvoir aux allures d’un "renversement blanc" sur le président bâtisseur de la Tunisie post-indépendance et qui est décédé en 2000.
Le pouvoir de Ben Ali s'est caractérisé depuis par son paradoxe et sa contradiction. En 1987, Ben Ali ne cessait de marteler des slogans démocratiques et populaires, à l’instar de Jamais plus de répression à partir d’aujourd’hui". Cette situation paradoxale s’est illustrée par la libération de centaines d’étudiants qui ont participé aux contestations de l’hiver et du printemps de 1987 pour les obliger à assurer le service militaire obligatoire dans le sud du pays.
Il avait également donné à l’ensemble de la sphère politique tunisienne l’illusion d’une démocratie en autorisant l’Union Générale des Etudiant Tunisiens (UGET, communiste) et l’Union Générale Tunisienne des Etudiants (UGTE, islamiste) à exercer sans pour autant permettre au mouvement Ennahdha d’avoir une activité réglementaire.
---Du printemps des libertés à l’hiver de la répression---
L’espoir des Tunisiens en une démocratie prospère s’est rapidement évaporé en février 1990 quand les contestations populaires des étudiants de l’UGTE ont été sanctionnées par une large campagne de conscription obligatoire à l’encontre d’environ 600 cadres de l’organisation estudiantine. En dehors des enceintes universitaires la répression de Ben Ali a pris la forme en 1991, de campagnes d’arrestations massives et drastiques contre les partisans du mouvement Ennahdha. Ben Ali a également procédé à la dissolution de l’UGTE. Les organisations de défense des droits de l’Homme ont, alors, relevé un nombre incalculable de violations et d’atteintes à des droits fondamentaux dont le droit à la vie.
Débarrassé des islamistes, Ben Ali s’est par la suite tourné vers les communistes. Les partisans du Parti Communiste tunisien et plusieurs syndicalistes ont fait l’objet d’une vague d’arrestation et certains de ses alliés dans sa confrontation contre les islamistes ont également été réprimés.
L’ancien président tunisien s’est également intéressé à la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme qu’il a essayé de rallier à son système avant de l’encercler administrativement et fonctionnellement jusqu’à la révolution de 2011.
---Une économie qui fait la fierté de ses partisans---
Les partisans de Ben Ali ont toujours tenté, même après la révolution de 2011, de tirer un trait sur son bilan sanguinaire en matière des droits de l’Homme au profit de sa "pseudo" réussite sur le plan économique et du "miracle économique" qu’il est parvenu à réaliser.
Ces partisans se vantent des grands projets infra-structurels réalisés à l’époque de Ben Ali et de la régularité des aides humanitaires en faveur des pauvres grâce à la Caisse de solidarité sociale au cours de son pouvoir. Une caisse qui, d’après des rapports d’experts publiés après la révolution, a fait l’objet de plusieurs dépassements et de détournements de fonds.
Cette réussite factice sur le plan économique et l’image d’un Etat moderne et sécurisé que cherchaient à véhiculer les partisans de Ben Ali n’ont pas empêché le soulèvement populaire du "Bassin minier" de 2008. Un soulèvement considéré par beaucoup d’experts comme le début de la révolution 2011.
---Bouazizi, le coup de grâce---
Alors où la majorité de la classe politique tunisienne, partisans du régime et opposant, croyait en l’éternité du Régime de Ben Ali, l’acte désespéré d’un marchand de légumes ambulant qui s’est immolé par le feu, a déclenché une révolution populaire et spontanée qui s’est répondue par-delà les frontières.
C’est l’acte désespéré de Mohamed Bouazizi qui est à l’origine du début d’une nouvelle ère dans l’histoire de la Tunisie, et de la fuite du dictateur qu’on croyait invincible en Arabie Saoudite, un certain 14 janvier 2011.
C’est cette révolte populaire qui a poussé Ben Ali à l’exil et qui a fait des dizaines de victimes entre martyrs et blessés de la révolution.
Le dictateur en exil a, depuis, fait l’objet de dizaines d’accusations pour meurtre, corruption et favoritisme. Il a été condamné par les différents tribunaux tunisiens à plusieurs décennies d’incarcération.
L’émergence depuis quelques années de courants politiques favorables à la politique de l’ancien dictateur n’est pas parvenue à atténuer le rejet et le mépris des tunisiens à l’encontre de leur ancien président exilé et décédé en Arabie Saoudite.